Le site et le calvaire

Yves Pascal CASTEL, atlas des croix et calvaires du Finistère :

N° 705. Croix de la Grève ou Croas-an-Aod, (provient de Keriber),

Matériau : granite

Hauteur : 7 mètres

Epoque : XVè siècle

Située près d’un grand rocher

Trois degrés

Grande table d’offrande

Ecus : de Poulpry

Inscription : MISSION 1863 - JUBILE 1868

Socle à griffes

Fût élevé, petit chapiteau

Croix à fleurons et dais

Crucifix

Croas-an-Aod ou Croix de la Grève.

C’est en 1867, à la suite d’une Mission, qu’elle fut plantée au bord de la mer. Le monument se compose en réalité de deux parties bien distinctes : une croix et un autel.

La croix provient en fait du hameau de Keriber, situé à 3 k au Sud-Est du bourg non loin d’un affluent du Quillimadec qui en cet endroit fait frontière avec Saint-Frégant.. Sur un socle carré aux angles à griffes un long fût de section ronde porte sur un chapiteau mouluré une croix avec un Christ. Le monument est coiffé d’un dais gothique, à fleurons plats typiques du XVe siècle.

L’autel qui soutient la croix provient d’ailleurs, fort vraisemblablement de la chapelle disparue de Brendaouez. En effet, les extrémités de la table à large cavet, portent les armoiries des Poulpry : « un rencontre de cerf », c’est-à-dire une tête de cerf présentée de face. Or on sait que les Poulpry possédaient Brendaouez en 1643.

Les dates laconiques inscrites sur le devant du coffre sont significatives. La première : MISSION 1867, la seconde : JUBILE 1868. Le déplacement d’éléments pris au fond de la campagne où ils étaient quelque peu perdus s’explique par le désir de christianiser un bord de mer plus fréquenté.

Croas-an-aod a inspiré des artistes. Entre autres, peintre relativement connu, Théodore Boulard brosse ainsi une toile où la croix sert de fond à une composition où se déploie une procession haute en couleurs S’y déploie, flottant au vent de la grève la bannière portée des Enfants de Marie en costume du pays. Théodore Boulard (1887-1961), musicien, mathématicien, peintre, nanti de solides convictions laïques, avait été conquis par une Bretagne mystique qui lui a inspiré plusieurs toiles religieuses. Son œuvre a fait l’objet d’une exposition au musée de Pont-Aven qui s’est terminée le 4 janvier 2008 (Atlas n° 705).

L’installation de la croix et la contestation communale

(Yvon Gac, Guissény, Histoire d’une commune au cœur du pays pagan, Cloître, 2000).

Cette croix de Croas-an-Aod, appelée auparavant la « Croix de Roch-an-Abat » et venant du village de Keriber, en souvenir d’une Mission ne s’est pas faite sans créer, en 1863, des difficultés dans la commune, et surtout un conflit entre le recteur et le maire à la limite d’une « guerre de religion ». Le recteur considérait qu’il s’agissait d’une propriété privée et avait obtenu l’autorisation du propriétaire tandis que le maire affirmait que la croix était propriété communale. Le 6 septembre 1863, le conseil municipal explique sa décision de s’opposer au transfert de la croix : "Par son architecture gothique et son cachet d’antiquité, la Croix de Keribert est considérée par les habitants, et même les étrangers, comme un monument historique pieux que chacun, de père en fils, est habitué à saluer en passant. Son nom est resté au terroir au milieu duquel elle se trouve, Keribert-ar-Croas. Aussi la commune la verrait-elle disparaître avec peine, et au lieu d’en demander, comme le prétend le Desservant, la translation à Roch-an-Abat qui est un lieu tout à fait isolé, quelquefois entièrement entouré par la mer, et n’ayant d’autre utilité que d’abriter les baigneurs de la campagne. Dans l’intérêt de la pudeur, le conseil municipal, qui la représente, en sollicite le maintien et propose de voter les fonds nécessaires à sa restauration sur les lieux".

D’autre part, concernant la propriété du lieu d’implantation à « Roch-an-Abat » : "Cette roche est située sur la grève entièrement séparée des limites riveraines et ne portant aucun n° cadastral. Elle ne figure même pas sur le plan, d’où il résulte qu’elle ne peut être une propriété particulière, mais bien une propriété de la commune, comme le pourtour jusqu’au lé des flots de marée, est la propriété des Domaines. Mais ce qui exclut toute contestation à cet égard, c’est que la dune qui, jadis, a peut être fait partie intégrante de cet îlot et qui s’en trouve la plus rapprochée, est portée à la matrice cadastrale et au plan, au nom de la commune sou le n° 343. La Fabrique ne pourrait donc, dans tous les cas possibles, y ériger une croix sans l’autorisation de la commune".

Devant cette opposition de la municipalité, le recteur fait appel à l’autorité préfectorale, fort de l’appui d’une partie de ses paroissiens et du conseil de fabrique. Et, en juin 1865, le maire convoque son conseil après avoir reçu une injonction du sous-préfet de Brest et, cette fois, le recteur obtient satisfaction : "le conseil adopte, à la majorité de quatorze vois sur quinze, les conclusions suivantes… Considérant que le refus manifesté par la délibération précitée a été mal interprété et a excité les esprits contre l’administration municipale, en lui donnant le caractère d’un acte antireligieux, le conseil déclare protester d’abord contre ses malveillantes interprétations et, revenant sur sa décision antérieure, autorise M. le Recteur, sous sa responsabilité, à enlever la Croix de Kériber pour la faire transporter à tel lieu qu’il lui plaira". Cette « Croas-an-Aod » repose sur une table d’autel, elle-même posée sur un socle élevé de trois marches : l’autel, provenant de l’ancienne chapelle de Brendaouez, est décoré à ses deux extrémités de deux écussons « rencontre de cerf », armes d’Yves du Poulpry, archidiacre de Quéménéet-Ily en 1643 et gouverneur de la chapelle de Brendaouez. Une inscription, sur le devant de l’autel, rappelle la mission de 1863 et le jubilé de 1868.