Cartes postales anciennes

Des cartes postales anciennes

Guissény dans le Pays Pagan

A propos du nom « Pagan »

Les limites du pays Pagan.

Les limites de ce Bro Pagan ou Lan Pagan ne sont pas faciles à déterminer et changent selon les auteurs. D’après Michel de Mauny, « pour les Lesnevinois, le pays Pagan se réduit aux quatre communes bordant la mer : Guissény, Kerlouan, Plounéour-Trez (y compris Brignogan qui n’en fut détaché et érigé en paroisse que le 7 juin 1935) et Goulven ». Pour Pol de Courcy, le pays est un peu plus étendu, depuis Tréflez à l’est jusqu’à Plouguerneau et l’embouchure de l’Aber Wrac’h à l’ouest. Si la mer constitue naturellement la limite nord, en revanche la limite sud est également très floue, ne dépassant pas la frange littorale : pour les Guisséniens, « ceux de l’Arvor, de la côte, sont seuls des Paganiz, ceux du bourg et de l’intérieur étant des Léonniz ». "Le nom pagan vient du latin « paganus », habitant d’un « pagus », circonscription rurale de la Gaule d’où est venu pays et paysan. Paganiz doit donc se traduire par paysan…"(Michel de Mauny).

Le nom Pagan à Guissény

La plus ancienne mention du nom Pagan que j’ai trouvée dans le registre des baptêmes de Guissény date de 1659 : l’acte de Jeanne COLLOSQUET fille légitime et naturelle de Lorans dit pagan et de Catherine Prigent, née le 7 mai 1659 et baptisée le 8 par le recteur de Guissény, parrain Charles Henry et marraine Jeanne Henry (du manoir de Kergoff).

Pagan°1659

Jeanne Collosquet a un frère François, né le 22 avril 1669, dont le père Lorans est aussi « dit Pagan ». Il y avait également une sœur Marie Collosquet, dit Pagan, fille de Catherine Prigent, décédée le 22 avril 1695 à l’âge de 30 ans (donc née en 1665).

Il existe aussi un autre couple Jacques COLLOSQUET et Marie SALOU qui a 3 enfants pour lesquels le père est « dit Pagan » : François, né le 22 octobre 1666 ; Jean, né le 11 décembre 1669 ; Allain, né le 27 février 1675. Une autre enfant Marie, née le 28 septembre 1677, ne comporte pas le surnom.

Ensuite on trouve le nom « pagan » directement comme nom de famille pour le baptême de Catherine Pagan, le 23 septembre 1664, fille légitime et naturelle de Jean Pagan et Janne Lesteven.

Catherine Pagan°1664

On trouve aussi dans le rôle des fouages de Guissezny pour l’année 1670 un Laurans PAGAN au village de Trerochan qui doit payer 13 sols et un Jacques PAGAN du bourg de Guissezny qui doit payer 2 sols. Ils n’apparaissent plus dans le rôle des fouages de 1681 [Le fouage est un impôt provincial prélevé par le duc de Bretagne sur les foyers roturiers]. S’agit-il de Lorans et Jacques Collosquet, dit Pagan, cités plus haut ?

Kerlouan

A Kerlouan, la plus ancienne mention connue (semble-t-il) du mot « pagan » dans un registre figure dans un acte de baptême, daté du 24 juin 1672 : « Jan, fils légitime et naturel d’Alain Uguen pagan et Marie Uguen sa femme, fut né et baptisé le vingt et quatrième jour de juin mil six cents septante deux par le soussignant Curé, ayant à parain et maraine Christophe Roparz et Marguerite Habasque ; J. Gall, Curé  ».

UguenJan, fils de Alain Uguen Pagan°1672

L’acte de décès d’Alain Uguen, du 12 décembre 1692, apporte une précision : « Alain Uguen dit pagan mourut le douziesme jour de décembre mil six cents quatre vingts douze et fut enterré le treiziesme du dit mois au dit an dans la chapelle de Saint Egarec en présence de Guillaume Uguen son fils, Alain Guen son gendre…  ».

UguenAlainPagan+1692

Le mot « pagan » est donc utilisé dans ce cas comme le surnom d’Alain Uguen. Les actes des registres paroissiaux de Kerlouan mentionnent très souvent ainsi le surnom des intéressés, comme Henry dit Toupin, Habasque dit Toby,… Mais nous ne savons rien de la signification de ce mot en tant que surnom à cette époque (XVIIe siècle).

Tanguy MALMANCHE, auteur de la pièce « Les Païens » (en breton « Ar Baganiz »), explique le choix de son titre dans les notes de son ouvrage.

Les païens (éditions Aber)
L’origine des Paganiz est restée assez nébuleuse

"L’origine des Paganiz est restée assez nébuleuse. Parce qu’ils tranchaient nettement sur les populations avoisinantes, dont ils se tenaient isolés et auxquelles ils considéraient même comme un déshonneur de s’allier par mariage, on a voulu les voir d’une race différente et on s’est livré, dans ce sens, aux suppositions les plus téméraires. N’est-on pas allé jusqu’à les prétendre descendants de pirates scandinaves, sous prétexte que leurs costumes -modernes, notez-le bien - avaient une très vague ressemblance ave ceux des paysans norvégiens ! Ainsi ces fils de Rollon, ayant perdu jusqu’au souvenir de leur mère-patrie, auraient continué, par on se demande quel mystérieux phénomène, à être tenus au courant de ses modes !

Une opinion plus généralement admise, parce que à première vue tout au moins - plus raisonnablement admissible, est que les Païens ont été nommés ainsi parce que… eh bien, parce qu’ils étaient païens ! Soit. Mais établit-on qu’ils l’étaient réellement ? Pas du tout. On se borne à raisonner comme suit : Paganiz s’apparente évidemment à paganisme, et ceux qui s’adonnent au paganisme sont des païens !

Mon arrière-grand-père Jean Bocher

Or, je dois le dire tout net - à la suite d’ailleurs d’autorités comme un Dotin et un La Passardière -, nous nous trouvons ici en présence d’une des plus belles manifestations de cet esprit calembourique qui, mis à la mode par les hagiographes et continué par les celtomanes genre Le Brigant, a si longtemps tenu lieu de science à la plupart de nos étymologistes bretons. Le vrai, c’est que Pagan vient du latin paganus, qui est l’habitant d’un pagus, circonscription rurale de la Gaule qui a donné pays. La traduction correcte de Paganiz serait donc non pas Païens mais Paysans. Si, dans la version française de ma pièce, j’ai adopté le terme vicieux, c’est qu’il est consacré par l’usage, et par suite le seul qui pour un Breton représente quelque chose.

On objectera que païen dérive aussi de paganus et que, même si ce n’est que dans des cas très particuliers que ce mot a eu le sens de paysan idolâtre, ce fut peut-être justement celui des Paganiz. Or, cela, rien ne l’établit ; tout prouve même le contraire. Les Païens actuels sont les propres descendants des Bretons immigrés en Armorique aux premiers siècles de l’ère chrétienne sous la conduite de leurs « saints » Sezny, Goulven, Fracan et autres, dont ils ont, du reste, gardé le culte ininterrompu.

Et s’ils furent l’objet au début du XVIIe siècle d’une « évangélisation » par le grand prédicateur Michel Le Nobletz, ce fut au même titre que tout le reste de l’évêché de Léon qui n’était certes pas idolâtre, tout en étant - il faut bien le croire - encore moins chrétien qu’eux, puisque le pauvre missionnaire, qui était du Conquet, avouait humblement que la paroisse qui lui donnait le plus de fil à retordre, c’était la sienne propre !

Dom Michel Le Nobletz

L’isolement farouche dans lequel les Païens ont été tenus si longtemps est dû, tant à l’attachement chez eux de l’esprit de clan, de fief et de paroisse, qu’à la déconsidération que leur valait leur renom de pillards invétérés. J’ai encore connu le temps où, dans les foires de Lesneven, des marchands ramassaient précipitamment leurs étalages, quand ils voyaient apparaître, reconnaissable à son habit bleu clair et à son bonnet à revers, un « paotr krogek e viziad », un gars aux doigts en croc…

Maintenant, il arrive fort bien qu’une « héritière » de Kerlouan épouse un « étranger » de Plabennec ou d’ailleurs. Mais quand, dans son nouvel entourage, on parle d’elle, on ne l’appelle jamais de son nom de fille, comme c’est l’usage. On l’appelle toujours ar Baganez, la Païenne".

Le Léon à l’époque romaine

Le Léon à l’époque romaine (Patrick Galliou, Rencontres historiques du Musée du Léon, 1990) : Bien que nous ne sachions pas grand-chose de l’organisation politique des peuples d’Armorique à la fin de l’Age du Fer, il est fort probable que le Léon était occupé, dès avant la conquête romaine, par une ou plusieurs des unités territoriales quasi-autonomes du vaste peuple des Osismes…

Cette partition ne fut pas supprimée par l’autorité romaine conquérante et le développement de la petite ville gallo-romaine de Vorganium (Kérilien en Plounéventer), au cœur de ce terroir, s’accorde bien avec ce que nous savons de l’organisation des pagi en Gaule romaine. Ces cellules de base y sont en effet d’ordinaire pourvues d’un chef-lieu, jouant, à son échelle, un rôle semblable à celui de la capitale de la civitas.

Kerilien

Nous ignorons toutefois si ce que nous appelons aujourd’hui le Léon était, à cette époque, occupé par un ou plusieurs pagi, car la Vie de saint Paul Aurélien, rédigée par le moine Uurmonoc en 884, nous donne à connaître deux unités distinctes, le pagus Leonensis et le pagus Agnensis, le nom de ce dernier étant d’origine celtique (pays d’Ach, dérivé d’Axmensis, lui-même dérivé du gaulois Aximos = le très maritime)".

Au XIXe siècle

Au XIXe siècle, la bourgeoisie brestoise considère avec condescendance la campagne environnante dont elle méconnait la vie profonde et en général ignore la langue : "C’est ainsi que, parmi les paysans bas-bretons, ignares et grossiers, livrés à la « superstition », elle tient en particulier méfiance et parfois en abomination, les naturels du Pays Pagan (le Lan ar Pagan, qui s’étend entre la baie du Vougot, à l’Ouest, et celle de Goulven, à l’Est, comprend les paroisses de Guissény, Kerlouan, Brignogan et Plounéour-Trez)".

En 1818, la revue La Guêpe (feuille libérale et anticléricale de Brest, animée par Edouard Corbière, décrit les Pagans comme "des espaces de sauvages à moitié nus…. La plupart de nos paysans sont encore plus grossiers que les peuplades que nous avons voulu policer dans le Nouveau Monde. Il y a peu de temps que les Lumières se répandent en Russie, et il n’est pas sur les bords du Boristhène et du Don, un Russe qui soit moins ignorant et moins féroce que les hommes dont nous parlons. Il est inconcevable, et nous osons le dire, il est honteux que la France, au dix-neuvième siècle, ait encore des sauvages".

Ces « sauvages » accèdent à la « civilisation » dans les années suivantes si l’on en croit ce qu’écrit le Général Le Flo, de passage à Guissény où il avait des liens familiaux, le 22 avril 1858 :

Guissény, vue par le général LE FLO (1804-1887)

"Guissény, commune sur la côte, à 3 lieues de Lesneven et une lieue de Kerlouan. Ce canton renferme une des plus vigoureuses populations de la Bretagne. Pays riche en outre. Nous sommes allés, mon frère et moi, visiter une ferme de notre mère, la ferme de Kerandraon, Gac fermier, sur le bord de la mer. Rencontré un jeune paysan, fils du fermier, grand gaillard bien découplé, parlant bien le français et quelques peu phraseur.

Adolphe LE FLO

Ces braves gens s’émancipent, évidemment, et ne ressemblent plus que fort peu à ces demi-sauvages d’il y a seulement 25 ans. Cela porte son enseignement. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Selon beaucoup de bons et grands esprits, c’est le symptôme de la Révolution qui marche… C’est possible ! Selon moi, c’est un progrès de l’humanité, un pas de plus vers la Liberté et la véritable Egalité dont le triomphe assurera seule le calme, la tranquillité du monde et la sécurité des intérêts…"

[Adolphe le Flo était par sa mère un descendant de la famille Henry de Kergoff de Guissény]

Le pays pagan vu par Louis LE GUENNEC au début du XXe siècle

Avant de visiter le Lann ar Paganis, nous nous imaginions un peu que la population était restée à peu près à l’état sauvage. Quelqu’un connaissant le pays, y étant allé assez souvent, nous disait : "Vous serez étrangement surpris de l’urbanité de ces paysans, qui parlent un français très correct, et ne passent jamais auprès d’un étranger sans lui adresser quelques paroles aimables. Si vous demandez un renseignement, il vous est donné volontiers avec force détails". Et en effet, en parcourant à pied les paroisses de Guissény, Kerlouan, Plounéour-Trez, nous n’avons trouvé partout que visages ouverts et paroles obligeantes.

Les limites du Pays pagan

Pour Louis Elégoët (Le Pays Pagan, Palantines, 2012) :

"Les limites du Pays pagan, si l’on remonte dans le temps de quelques décennies seulement, étaient à géométrie variable. Si l’on s’informait sur cette question en Paganie, le Pagan, c’était l’homme de la commune d’à côté. Pour l’habitant de Guissény, c’était le Kerlouanais ; pour celui de Kerlouan, c’était l’indigène de Plounéour-Trez. Il en va tout autrement de nos jours : de plutôt négative qu’elle était naguère, l’identité pagane est devenue positive.

Aujourd’hui six communes trouvent à se loger dans le territoire pagan : Goulven, Plounéour-Trez, Brignogan (créé, en 1934) à la suite du démembrement de Plounéour-Trez), Kerlouan, Guissény et Plouguerneau [aujourd’hui avec la refonte de Brignogan avec Plounéour-Trez, il n’y a plus que 5 communes concernées].

Outre leurs caractères communs qui est, entre autres, de vivre de la terre et de la mer, ces communes forment une presqu’île délimitée par deux cours d’eau : la Flèche à l’est, l’Aber-Wrac’h à l’ouest. La position péninsulaire du Pays pagan y a déterminé un isolat humain qui n’a pas son équivalent dans le Léon. Elle explique en grande partie son originalité".

La délimitation du pays pagan est donc toujours d’actualité aujourd’hui

La délimitation du pays pagan est donc toujours d’actualité aujourd’hui mais plutôt pour des raisons touristiques, car il est désormais important, pour les communes, de se rattacher à un « pays ». En ce début du XXIè siècle, le pagus gaulois est ainsi remis à l’honneur.

Notre commune de Guissény forme avec ses voisines la « Côte des Légendes », associées dans une communauté de communes au Pays de Lesneven, plus large que le pays pagan. La principale de ces « Légendes » est sûrement celle des naufrageurs et des pilleurs d’épaves.

Sources :

  • Michel de Mauny, « Le pays de Léon - Bro-Léon ».
  • Guissény : Yvon Gac
  • Kerlouan : Les Cahiers de l’Iroise : Ar Furcher, « Sur l’origine du mot Pagan », n° 3, 1973, p. 175, et Claude et Danièle LE MENN, « Sur l’origine du mot Pagan et les surnoms kerlouanais », n° 4, 1985, p. 195-196.
  • Yves Le Gallo, "Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet", PUF, 1968.
  • Général Le Flo, "Notes sur mon pays - de Brest à Morlaix- (1849-1886).
  • Louis LE GUENNEC, "Le Finistère monumental - tome II : Brest et sa région".
  • Archives départementales de Quimper et CGF29

Le naufrage de l’Eulalie en 1814

Le registre de délibération du conseil municipal de Guissény dresse le constat d’un naufrage dans la baie de Trésséni le 1er mars 1814.

Le bateau et son chargement

Aujourd’hui premier mars mil huit cent quatorze est comparu le sieur Mathurin de Moy, commandant du chasse-marée Eulalie, de l’Aberildut, du port de dix tonneaux 68 / 94e , déclare venir de Brest et être chargé suivant deux acquit à caution et un passavant à destination de Pontusval, portant . le premier acquit n° 1er en date du 11 février 1814, dix mille kilogrammes de sel, allant par suite d’un trépas, . le deuxième acquit à caution n° 33 en date du onze février 1814 portant seize barriques de vin contenant trente six hectolitres quarante huit litres, tous deux signés Saint Géran . le passe avant n° 135 portant deux barriques de vin en date du 11 février 1814, signé Guereaux.

Les premiers ennuis

Le dit Mathurin de Moy déclare qu’il est parti de Brest le douze février 1814, les vents au Nord dé ; le même jour, ils ont relâché à Berthom avec le capitaine Marzin qui alors commande ledit bâtiment.

Le treize, ils ont appareillé à six heures du matin pour faire route pour l’Aberildut où ils font entrée dans la rade dudit lieu à neuf heures du soir, où ils sont restés jusqu’au dix huit dudit mois, dont ils sont partis à six heures du matin, les vents au Nord dé pour faire route pour Portsal où ils sont arrivés à quatre heures du soir le vingt dudit mois, le capitaine Marzin ayant voulu porter secours à un bateau pescheur s’étant embarqué dans son canot qui a chaviré, ledit capitaine Marzin a le malheur de se noyer dans la rade de Portsal sur les dix heures du matin, ledit chassse-marée a resté dans cette rade jusqu’au vingt sept dudit mois.

L’arrivée à Guissény

Le vingt huit, les vens de la partie du nord norois, avons fait route pour Guissény, sur les huit heures du matin, où nous avons mouillés sur la rade dudit Guissény environ les trois heurs après midy, où étant le navire ayant ses ancres dehors, le bâtiment à frapé à plusieurs reprises et à soufert, dont nous n’avons put quitter la pompe, nous avons sur les onze heures du soir dû fair lever les encres. La mer étant très agitée nous a jeté dans le port avec force, où le bâtiment à touché sur une roche où le navire à coulé à fond, où moy capitaine et mon mousse n’ont eu que le temps de nous sauver dans notre canote ; pour cette accident, le sel se trouve coulé, le navire étant maintenant au fond de la mer.

Ce que de tous cy dessus et de l’autre part, je déclare sincère et véritable ainsi que mon mousse nommé Michel Guioc qui déclare ne savoir signer, le capitaine a signé.

Mathurin demoy

Le naufrage du « Bon Succès »

Le naufrage du « Bon Succès » en 1788

En janvier 1788, le navire danois « Bon Succès » chargé de toiles vint à la côte à Guissény. Les riverains vendirent les toiles naufragées. Quatre des acheteurs, les épiciers C. Rollet et Jérôme Le Bon, le fripier J. Devaux et le chapelier J. Bernicot furent incarcérés au château de Brest.

Chateau de Brest

Bernicot put s’évader. Les autres furent élargis provisoirement en août 1789. La municipalité de Brest pria les députés Legendre et Moyot de supplier la clémence du Roi en leur faveur. Le 18 février 1790, Lunven de Coatiogan, (avocat à Brest) fut chargé de demander des lettres d’abolition « pour les anciens détenus ». Bernicot, enfui de Brest, craignait fort de n’y pouvoir rentrer.

Le navire avait déjà eu des problèmes en 1765, mais pour de la contrebande cette fois-là !

La Gazette de France, du lundi 5 août 1765 :

« Le sieur du Chaffaut, chef d’escadre, commandant le vaisseau l’Utile, joignit le 11 juin 1765, un navire danois, nommé le Bon Succès, de deux cents vingt tonneaux, expédié de Constantinople au commencement de mai avec un chargement de dix canons de bronze, cinq cents quintaux de poudre à feu, quinze boulets, trois cents cinquante rames et plusieurs mâts que le Capitaine avoua qu’il portoit à Salé. La destination de ces munitions de guerre étant pour les Ports bloqués de nos ennemis, ce Navire est évidemment dans le cas de la confiscation aussi bien que son chargement. En conséquence, il a été envoyé au premier Port de France sous l’escorte de la Frégate La Biche ». «  On vient d’apprendre que le Navire danois le Bon Succès, qui alloit à Salé, chargé de munitions de guerre et que le sieur du Chaffaut a arrêté, est entré dernièrement à la rade de Brest avec la Frégate La Biche qui l’escortoit ».

Les Paganiz, des naufrageurs ?

Les Paganiz, des naufrageurs ?

Le naufrageur, la vache et la lanterne
Cambry évoque, dans son « Voyage dans le Finistère » en 1794, l’existence lointaine des naufrageurs :

« Les habitants de ces rivages semés d’écueils sont remarquables par leur haute stature et le caractère de férocité généralement empreint sur leur physionomie. Ils sont ceux du département qui ont conservé avec le plus de ténacité l’usage barbare de piller les bâtiments naufragés et d’en dépouiller, d’en maltraiter les malheureux équipages avec une cruauté de vrais sauvages. Ils apportent à cette action une fureur, un acharnement inconcevable…Peignez-vous la position de ces hommes et de ces furies qui, la nuit, l’hyver surtout au moment des orages, cachés dans les enfoncements du rivage, l’œil tendu vers les flots, attendent les dons de la mer… Dans les temps reculés, ils allumaient des feux, ils pendaient un fanal à la tête d’une vache pour attirer les vaisseaux éloignés, trompés par le mouvement de ces animaux et par ces feux qu’ils croyaient pouvoir suivre ».

L’ordonnance de la Marine de 1681 (Colbert) qui réglementait le droit de bris et le produit des naufrages est peut-être une des origines du mythe par son article 45 :

« Ceux qui allumeront la nuit des feux trompeurs sur les Grèves de la Mer et dans les lieux périlleux, pour y attirer et faire perdre les Navires, seront aussi punis de mort, et leurs corps attachez à un Mast planté aux lieux où ils auront fait les feux ».

Jules Michelet y apporte sa caution d’historien renommé dans une description de la Bretagne faite dans un « Tableau de la France » (dans le tome 2 de son « Histoire de France) :

« Il y a pis que les écueils, pis que la tempête. La nature est atroce, l’homme est atroce et ils semblent s’entendre. Dès que la mer leur jette un pauvre vaisseau, ils courent à la côte, hommes, femmes et enfants, ils tombent sur cette curée. N’espérez pas arrêter ces loups, ils pilleraient tranquillement sous le feu de la gendarmerie. Encore, s’ils attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu’ils l’ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les vaisseaux sur les écueils. Dieu sait alors quelles scènes de nuit ! On en a vu qui, pour arracher une bague au doigt d’une femme qui se noyait, lui coupaient le doit avec les dents. L’homme est dur sur cette côte. Fils maudit de la création, vrai Caïn, pourquoi pardonnerait-il à Abel, La nature ne lui pardonne pas…  ».

La vache et son fanal en mouvement

La description de Michelet ne s’appuie que sur des « on assure » ou des « dit-on » mais l’évocation de scènes atroces suscite suffisamment l’imaginaire romantique pour donner consistance à un mythe qui se développe tout au long du XIXè siècle dans la littérature française1. Pourtant le dépouillement des archives maritimes ne fait pas apparaître les feux comme origine des naufrages : l’inventaire de l’amirauté de Léon ne contient aucune condamnation liée à ce type de méfait.

Le journal « Finistère » du 19 mars 1873 présente ainsi un naufrage qui s’était produit à Guissény le 12 mars précédent :

«  Tout le monde connaît, au moins de nom, dans le Finistère, ce coin de terre païen - lan ar pagan - qui se conserva païen, en effet, jusqu’en plein XVIIè siècle. C’est là que résidait, sans se mêler à ce qui l’entourait, une indomptable race, vivant de l’océan comme d’un domaine naturel, et regardant comme gain légitime tout ce que lui apportait l’océan. Souvent même, quand l’océan se montrait trop lent à produire, on l’y forçait, comme on fait d’un rebelle. Malheur aux voyageurs que leur destinée menait en vue de la terre des païens dans l’obscurité d’une nuit d’hiver ! Mieux eût valu l’approche du plus impitoyable récif que celle de ce rivage inhospitalier. Devant eux apparaissait une lumière qui, sans cesse, changeant de place, semblait suivre les oscillations d’un navire en marche. Les voyageurs approchaient sans méfiance du navire imaginaire jusqu’à ce que le choc inévitable les avertit de leur erreur, et qu’ils pussent voir - trop tard, hélas ! - accourir des replis de falaise, le croc à la main, les païens qui avaient apprêté l’embûche et qui venaient en recueillir le fruit. On pense bien que ces instincts de sauvages se sont fort modifiés ; mais on peut penser qu’ils ne se sont pas effacés d’un seul coup. Il n’y a plus de païens ni de naufrageurs, mais il y a encore des maraudeurs de mer qui ne se sont pas déshabitués de regarder tout ce qui flotte sur l’océan comme propriété collective. En voici un frappant exemple… Il s’agit du pillage d’une carcasse de navire échouée sur la côte de Guissény.

Guetteur

A peine la masse flottante eût-elle été signalée par un cri guttural qui n’a d’équivalent nulle part, même dans le monde des rapaces nocturnes, que de tous côtés accouraient les riverains armés de crocs et de faux. Un instant après, l’épave était amenée à terre, et attaquée dans tous les sens par de robustes bras. Comme la démolition n’allait point assez vite, les instruments de travail furent remplacés par d’énormes galets et le jeu recommença de plus belle. Sous les coups multiples de ces marteaux essentiellement primitifs, les pièces de bois cédèrent à l’envie, et ne tardèrent pas à se disjoindre. Alors, des charrettes que le hasard n’avait point amené là, mais nos païens, hommes de précaution, furent chargées sans perte de temps et quand les agents de la Marine Nationale arrivèrent, entre 10 et 11 heures, pour reconnaître l’épave qu’un œil vigilant avait aperçue de loin… mais de très loin, la grande grève était déserte et le tour était joué ».

Pour Yves Le Gallo (Brest et sa bourgeoisie sous la Monarchie de Juillet - 1830-1848) :

"Sans doute leurs ancêtres avaient-ils provoqué des naufrages lorsque la Providence ne les suscitait pas elle-même ; mais s’ils demeuraient encore, et si leurs descendants demeureront longtemps après eux, experts accomplis dans l’art de réduire une épave à la plus sommaire des carcasses, ils n’étaient tout de même plus, au début du XIXe siècle, ce que la couleur locale allait bientôt exiger qu’ils demeurent (le thème, très romantique, du naufrageur était déjà couramment traité sous Louis-Philippe)".

En 1860, les Guisséniens considèrent que leur clocher « sert souvent de marque pour se diriger aux marins qui passent dans la Manche ». Ils sont donc plus préoccupés à aider les bateaux à s’orienter le long des côtes qu’à chercher à provoquer leur naufrage !

Et aujourd’hui, dans le cadre du tourisme de la Côte des Légendes, on organise même un trail des naufrageurs !!

Trail des Naufrageurs

Sources :

  • Alain CABANTOUS, « Les côtes barbares - pilleurs d’épaves et sociétés littorales en France - 1680-1830 », Fayard, 1993.
  • Jean-Pierre HIRRIEN, « Naufrages et pillages en Léon », SkolVreizh, Morlaix, n° 46, mai 2000.
  • Yvon GAC, "Guissény, histoire d’une commune au cœur du pays pagan".

Les Paganiz, des pilleurs d’épaves

Pilleurs d’epaves
Le droit de bris

Le droit de bris (ou droit de lagan, ou perçois de mer, ou le peñse) appartient aux Ducs de Bretagne au Moyen Age comme droit régalien, mais leurs vassaux du littoral en usaient par concession ou par usurpation. Il en fut ainsi du Vicomte de Léon : en vertu du droit seigneurial, toutes cargaisons de marchandises jetées sur le littoral lesnevien (des grèves de Tréflez à celles de Plouguerneau) devenaient propriétés exclusives du châtelain de Lesneven. Ce droit était particulièrement cher au seigneur du lieu, si l’on s’en rapporte aux déclarations d’un certain Hervé, vicomte du Léon qui, du doigt, désignant un groupe de rochers du littoral - Kerlouan, vraisemblablement - s’écria : « Voilà une pierre noire que je n’échangerais pas pour les diamants de toutes les couronnes du monde ».

Au milieu du XVè siècle, le châtelain renonça momentanément au droit d’épaves au profit d’un gentilhomme qui, en compensation, devait fournir les cordages nécessaires à la pendaison des criminels déférés à la cour de Lesneven. En 1457, ces fonctions étaient dévolues à l’un des trois choristes du Folgoët, « un petit Pilguen de Plouider, du doux manoir de Kérouriou. Il avait la maîtrise sur toutes les grèves du littoral lesnevien, ce qui lui faisait dire : flux ou reflux, je suis partout le maître et Kérouriou est mon nom ».

. Ce rocher, cause continuelle de naufrages, était situé, selon certains auteurs, sur le littoral de Kerlouan (Marius-Fernand et Louis BLANC, « Histoire anecdotique de Lesneven, du Folgoët et des alentours », Brest, 1927). Mais Cambry le fixe à la pointe du Raz, territoire relevant également à l’époque du Comté de Léon.

L’ intervention de l’Eglise

L’Eglise tenta de lutter contre ce droit de bris : ainsi, lors d’un synode tenu à Nantes en octobre 1127, elle condamna cet usage et menaça d’excommunication ceux qui n’y renonceraient pas. Mais l’habitude était tellement ancrée dans les mœurs que les interdictions maintes fois renouvelées n’y changèrent rien. Les conflits continuèrent entre les ducs et les vicomtes de Léon pour la possession de ce droit et se poursuivirent encore avec le pouvoir royal après le rattachement de la Bretagne à la France.

Les garde-côtes

L’édit de 1691 organisa les amirautés : celle de Léon avait son siège à Brest. Le personnel n’était pas nombreux et souvent éloigné des lieux de naufrages ; les juges déléguèrent leurs pouvoirs à des représentants pour assurer une meilleure surveillance des côtes : des commis et des garde-côtes. C’était le cas à Guissény où l’on peut toujours voir la maison des gardes (« le corps de garde ») . Toutes les autorités locales (curés, seigneurs, syndics) avaient obligation de prévenir l’amirauté, de s’occuper du sauvetage et d’empêcher les pillages avant l’arrivée des officiers. Pendant la révolution, cette mission fut confiée aux juges de paix des cantons et aux douaniers.

Le Corps de Garde

Les habitants de ces littoraux qui menaient une vie difficile et avaient l’habitude de se battre avec les éléments marins pour récolter le goémon, voyaient arriver les débris des naufrages comme une bénédiction. « Cette culture littorale se fonde sur un raisonnement simple : tout ce que la mer apporte aux découvreurs s’apparente à une cueillette naturelle pour des individus qui ne possèdent pas grand chose [Jean Pierre Hirrien] ». Lorsqu’un naufrage était connu, la population arrivait de toutes les paroisses voisines : lors du naufrage du Bon Succès (le 25 décembre 1787), on observe la présence de représentants de six paroisses (Kerlouan, Guissény, Plouguerneau, Lannilis, Ploudaniel et Lesneven) et « des charrettes aussitôt attelées ont transporté dans plus de trente paroisses le fruit de leurs rapines ».

Les naufrages et les pillages

Entre 1681 et 1815, J.-P. Hirrien compte 6 naufrages à Guissény et 18 à Kerlouan, dont 6 ont donné lieu à des pillages. Toutes les communautés littorales participaient plus ou moins au pillage mais tous leurs membres ne se comportaient pas de la même façon : Cambry notait «  qu’il existe pourtant des familles qui ne participent jamais à ces vols ; qui se croiraient déshonorées si, quand la multitude court au rivage et va se partager la dépouille des naufragés, elles faisaient un pas pour y participer ». L’intérêt des pilleurs se concentrait sur trois marchandises principales : le bois, les vêtements et l’alcool. Les violences envers les équipages sont en général limitées : les pillards portent secours aux rescapés, du moins lorsque ceux-ci ne cherchent pas à s’opposer au pillage.

Les frères Blanc, dans leur livre sur l’histoire de la région, rapportent un certain nombre d’anecdotes relatives au pillage des épaves du côté de Guissény et de Kerlouan. Ils relatent, par exemple, le fait qu’à leur époque (début du XXè siècle), il est rare de trouver le moindre bijou sur les cadavres déclarés par les Paganis : « Or, les marins ont toujours des montres sur eux, dit un brigadier des douanes, et j’ai souvent relevé au doigt des cadavres déclarés le rond pâle que laisse une bague et les écorchures encore fraîches qui prouvent que l’anneau avait été arraché violemment ».

Les tonneaux de vin

Les épaves que la tempête et les courants entraînent vers le littoral, et plus spécialement les « spiritueux en fûts », auxquels ces populations semblent accorder une préférence marquée, sont toujours considérés comme « un don du ciel ». Ainsi, en 1903, lors du naufrage du Wesper, dans les parages d’Ouessant, quantité de fûts et de barils de vin, emportés par le courant, vinrent, pour la plus grande joie des riverains, s’échouer parmi les nombreux rochers des grèves de Kerlouan. Avec une adresse et une dextérité surprenantes, les Paganis recueillirent quantité de fûts, prestement dissimulés à l’œil inquisitorial « des gabelous » (douaniers).

Pilleurs d’epaves (Auguste Lepère)

Alors, durant de longs mois, ce fut une beuverie interminable : hommes, femmes et enfants purent, sans bourse déliée, se livrer à de copieuses libations. Or, il advint que, dans une ferme isolée du littoral, la maisonnée tout entière demeura plusieurs jours sous l’empire de l’ivresse, sans souci aucun des quelques têtes de bétail enfermées dans l’étable. Même, les lugubres beuglements de ces pauvres bêtes ne purent faire sortir de leur torpeur les gens de la ferme. La presque totalité de ce bétail succomba d’inanition.

Un autre fait, ayant trait au même naufrage, témoigne de l’astuce, du cynisme de certains pilleurs d’épaves : une honorable et vieille commerçante de Guissény, ignorant tout d’ailleurs des lois réglementant la vente des épaves, se laissa fléchir par les instances aussi obsédantes qu’intéressées d’un de ces endurcis pirates de Garrec-Hir, en Kerlouan, et lui acheta un superbe fût de vin d’épave. La livraison, contre remboursement, s’effectua par une nuit profonde et obscure. L’astucieux livreur poussa la complaisance jusqu’à dissimuler entièrement le tonneau sous des fagots entassés dans la cour de l’habitation, avec recommandation expresse de ne point mettre la futaille en perce avant une vingtaine de jours, afin que le dépôt du liquide pût s’opérer dans de bonnes conditions. Cette recommandation n’était ni superflue ni surtout désintéressée : le délai expiré, notre brave et trop confiante aubergiste s’apprêtait enfin à procéder à la mise en bouteilles du précieux liquide lorsqu’elle s’aperçut de la disparition mystérieuse du fût ! Elle apprit dans la suite que le cynique pirate, non content d’avoir empoché l’argent, avait mis à profit une nuit noire pour procéder à l’enlèvement du vin avant la date qu’il avait lui-même si obligeamment fixée pour la mise en bouteilles. Que faire en l’occurrence ? Déposer une plainte ? Il n’y fallait point songer, sous peine d’encourir les foudres du fisc. Mieux renseignée, notre infortunée aubergiste jura - mais un peu tard - qu’on ne l’y reprendrait plus !

A propos de ce même naufrage, un entrepreneur de la région lesnevienne, en relations constantes avec les Paganis, raconta aux frères Blanc les faits suivants, vraiment typiques, dénotant de la part de leurs auteurs une mentalité peu ordinaire :

Dès qu’on apercevait un fût flottant sur les eaux, on allait à sa rencontre à la nage. On le déposait verticalement sur le sable ; on en faisait sauter la partie supérieure ; puis, au moyen de sabots d’une propreté plus que douteuse, chacun s’abreuvait à qui mieux mieux. Le niveau du liquide s’abaissait-il ? L’un des sauveteurs, en tenue de bain, sautait dans le tonneau et remplissait tous les récipients qu’on lui présentait.

Plus loin, deux paysans roulaient discrètement deux énormes fûts de vin. On les aperçoit. Ils se voient aussitôt entourés d’une meute hurlante, réclamant une part du précieux butin. Le vacarme est tel que les douaniers, accourus, ordonnent jusqu’à plus ample informé, la remise des fûts dans une grange voisine, au seuil de laquelle ils montent la garde jusqu’à la nuit tombante. Sitôt partis, la grange est assaillie, la porte démolie, les fûts défoncés, puis une bataille générale s’engage à coups de seaux pour la possession du vin.

Pilleurs d’epaves

Dans les mêmes parages, un vieux paysan des plus madrés avait réussi à recueillir 12 tonneaux de vin. Heureux de son aubaine, il remisa le tout dans sa grange. Pour plus de sûreté, il fit murer l’ouverture de la remise. Précaution illusoire pour qui connaît les ruses des pilleurs d’épaves. Peu de jours après, en effet, trois tonneaux sont enlevés : la toiture en chaume avait été défoncée et les trois épaves, à l’aide de forts cordages, avaient disparu par cet orifice d’un nouveau genre. Outré d’un pareil sans-gêne, notre rusé paysan s’arma d’un fusil et la nuit demeura en faction au seuil de sa remise. Mais ses compatriotes sont gens à ne point se laisser intimider. A leur tour, ils s’armèrent de fusils de chasse et la poudre entra en jeu. Ce fut miracle si personne ne perdit la vie. Tous ces coups de feu avaient attiré l’attention des douaniers qui mirent fin à ces combats en pratiquant l’enlèvement des fûts restants, objets du litige, et en gratifiant nos bons bougres de quelques procès-verbaux pour détention et enlèvement illicites d’épaves. N’est-ce pas au cours d’une de ces orgies « qu’une vieille femme fut retirée d’un fût où elle se penchait trop amoureusement » et qu’une autre hallucinée s’écriait : « O Dieu puissant qui changes la mer en vin » ?

Le naufrage de l’Amboto en 1908

Lors du naufrage de l’Amboto, chargé de houille, et survenu le 14 juillet 1908, plusieurs habitants de Garrec-Hir - principal quartier, avec Kérisoc, des pilleurs d’épaves - montèrent à bord du navire pour enlever tout objets à leur convenance : glaces, cuivre, etc… Les chaînes mêmes ne furent pas épargnées ; on les enleva à coups de masse et tout cela en présence de l’équipage, littéralement ahuri par un tel cynisme. Si certains pilleurs d’épaves impénitents font des dupes, des victimes, d’autres par contre, paient, parfois de leur vie, leur amour immodéré de certaines épaves, témoin le fait suivant : « Le 19 août 1917, de nombreux cultivateurs coopéraient aux travaux agricoles, à la ferme Habasque en Kerlouan. Après le battage de la récolte, il fut offert aux travailleurs quelques petits verres d’alcool. Or, dès le lendemain, l’un des buveurs, Jean Coat, domicilié à Ploudaniel, était fortement indisposé, se plaignait surtout de douleurs à la tête. Un docteur fut mandé qui ordonna le transfert du malade à son domicile. Mais ce dernier ne put supporter le voyage et mourut en cours de route. Le même jour, Tanguy Le Bihan, qui avait également travaillé la veille chez son voisin Habasque, mourait dans les mêmes conditions à son domicile. Deux autres cultivateurs, Jean Jaffrès et Ollivier Bihan furent fortement indisposés. La justice fut mise au courant de ces faits, et l’on apprit que Habasque avait découvert peu de temps auparavant, sur la grève, un fût d’alcool, qu’il crut être du trois-six. Sa fille avait alors mélangé ce liquide, qui n’était autre que de l’esprit-de-bois, avec de l’eau-de-vie ordinaire. C’est ce breuvage qui avait été donné aux travailleurs et qui occasionna leur mort. François Habasque et Marie Jeanne Habasque furent condamnés à deux mois de prison avec sursis » [Extrait du journal « La Dépêche de Brest et de l’Ouest », 9 février 1918].

Un chargement de caoutchouc

Au cours de l’année 1918, plusieurs navires sont encore torpillés dans les parages de Kerlouan. L’un était chargé de grandes feuilles de caoutchouc vulcanisé, sorties d’une grande firme américaine. Les riverains de Garrec-Hir, notamment, en font une ample récolte dont ils escomptent déjà le produit de la vente. Mais les douaniers sont là, l’œil aux aguets et l’oreille aux écoutes. Impossibilité absolue d’écouler immédiatement les précieuses épaves. Alors nos bons pirates, en vue de remédier sans doute à la pénurie du bois dans la région, imaginent d’utiliser les feuilles de caoutchouc comme combustible ! Les vapeurs âcres et sulfureuses qui s’en dégagent leur chatouillent fort désagréablement les narines et les obligent à renoncer, dès le premier essai, à ce genre de combustion peu ordinaire. Des personnes peu scrupuleuses, mais plus avisées, en quête d’une bonne aubaine, parviennent après paiement et après avoir trompé la vigilance des douaniers, à se procurer plusieurs feuilles de ces épaves, vite découpées en pièces et sitôt débitées pour servir de semelles aux chaussons et aux espadrilles ! Ce nouveau genre de semelles remporta, à Guissény, un succès incroyable, surtout près des femmes et des enfants. Tous en portaient au vu et au su des douaniers. « Que voulez-vous, disait M. H…, l’actif brigadier des douanes, nous ne pouvons cependant pas verbaliser contre toute la population ? Nous avons déjà fait rendre gorge à quelques-uns des pilleurs d’épaves disposés à en faire livraison à des industriels - mercantis, peut-être, - de Brest, de Landivisiau et… d’ailleurs. Un moment, nous avons cru mettre la main sur l’un de ces gros receleurs : son auto stationnait à la porte d’une ferme tenue par nous à l’œil. Éventé, le coup a manqué. Espérons que ce n’est que partie remise ; bientôt, peut-être, aurons-nous notre revanche…  ». Par la suite, l’active brigade de Guissény réussit à récupérer plus de 7.000 kilos de feuilles de caoutchouc !.

Le témoignage des dictons

La tradition du pillage était profondément ancrée dans la mentalité des populations du pays pagan comme en témoignent ces dictons et cette profession de foi prêtée aux gens de Guissény, selon Michel de Mauny :

Lec’h ma dremen ar Pagan | Partout où passe le Pagan Atao e daol e graban | Toujours il lance sa main crochue

Paotret Guisseni | Gars de Guissény Paotret ar c’hill krok | Joueurs de perche à crochet (pour tirer au sec les épaves)

La profession de foi dit ceci :

Avel uhel, avel Nord | Le vent haut, le vent du Nord A zigas ar pense d’ar bord | Amène les épaves à la côte Ha me araok | Et moi d’y courir Da c’hoari va Paotr | Pour y faire mon beau diable Ha pad-agenn d’ar grouk | Et que j’irais à la potence Tenio eun tortad war | J’emporterai mon faix (de butin) Va chouk | Sur mes épaules

L’ancienne auberge du bourg de Guissény

L’ancienne auberge du bourg de Guissény était le témoignage vivant de cette tradition de pilleurs d’épaves (Charles Le Goffic, "Sur la côte") :

« Une des auberges les plus curieuses que j’aie visitées, est à Guissény. C’est la principale de l’endroit et elle fait hôtel pour les voyageurs de commerce et les rares baigneurs qui s’y rendent aux beaux mois. Le patron de l’auberge est en même temps ébéniste et marchand de curiosités. L’auberge est propre et sans grande apparence extérieure. Mais, à peine entré, on est frappé par la singularité de l’ameublement : la table de la salle à manger est une table longue, en acajou massif, comme les tables des paquebots ; la suspension, les serrures, les poignées des portes, les patères sont en cuivre, comme à bord. Pour descendre dans la cour, vous suivez une rampe de passerelle ; dans cette cour même, vous apercevrez d’énormes ancres, des organeaux, des ventilateurs, des mâts de charge. Trois ou quatre de ces mâts, encore cerclés de fer, supportent la toiture d’un hangar ; dans ce hangar, pêle-mêle, avec de vieux bahuts, des crédences et des lits bretons, voici des planches de pitchpin, des billes d’acajou verdies par la mer. D’où vient tout cela ? du Penzé. Chacun de ces objets a sa date, se rapporte à un naufrage lointain ou récent. Et vous ne voyez encore que ce qui peut être montré ou que couvre la prescription. Le cas de ce patron d’auberge est-il unique ? Point. On me cite un tel, ancien meunier retiré des affaires, ayant grande habitation bourgeoise, cour, arrière-cour, jardin fruitier, potager et d’agrément, et dont tout le mobilier, jusqu’aux ustensiles de ménage, trahit la même origine. Evidemment ni cet ancien meunier ni cet aubergiste ne sont des pilleurs d’épaves… ».

Et aujourd’hui !

La mer continue à apporter des matières diverses sur les plages du pays pagan. Lorsqu’il y a un arrivage intéressant le vieil atavisme se réveille très vite, le bouche-à-oreille fonctionne très bien (surtout maintenant avec les smartphone et les réseaux).La plage est très vite nettoyée des planches de bois, des paquets de tabac,… Mais lorsque la mer apportait ses nappes de pétrole, les Paganiz savaient aussi serrer les coudes pour se débarrasser au plus vite de cette pollution.

Voyage chez les Paganiz en 1928

(La Dépêche de Brest et de l’Ouest, lundi 12 novembre 1928, p. 1)

Le pays Pagan dans le Léon

Où nous faudra-t-il courir, dans huit ou dix ans, pour découvrir quelque trace de la Bretagne légendaire, emmurée dans ses traditions, qu’on évoquée Brizeux, Souvestre et, plus près de nous, Anatole Le Braz ? Voilà ce que je me disais, en visitant, par ce dernier mois d’août, cette région du Léon, - de Brignogan et de Guissény, - qui semblerait devoir être le suprême réduit de la vieille Bretagne sauvage, région des Paganiz qui, à en croire les légendes, porteraient dans leurs veines du sang de païens et de bagnards.

Je le croyais d’autant mieux que je venais de relire "Sur la côte« , le beau livre de Charles Le Goffic, et, des frères Blanc, la si attachante »Histoire anecdotique de Lesneven", où il est question des naufrageurs, des « Paotred-ar-c’hilkrog » de Kérisoc et de Garrek-Hir, qui se saoulent de vin d’épave et arrachent les bagues, coups de dents, des doigts morts des naufragés. Mon bon ami Tanguy Millour, à vrai dire, m’avait fait entendre un autre son de cloche, en me représentant ce pays de Brignogan, qui lui est familier, comme un pays ni plus ni moins sauvage que n’importe quel autre du Finistère. Mais j’apportais à le croire assez de mauvaise volonté. J’ai vu depuis lors qu’il avait raison.

Femmes de Brignogan

C’est toute une expédition que de se rendre de Brest au pays des Paganiz, par le petit train qui n’a d’économique que le nom et qui parcourt bien huit kilomètres à l’heure. Et le Léon qu’on traverse, entre Gouesnou et Plabennec est, en effet, assez triste : un immense tapis vert, parsemé de landes, que des rigoles d’irrigation découpent en milliers de cases inégales, et où des vaches, lourdes d’herbe, regardent passer des trains. Des clochers à jour y poussent au lieu d’arbres, tendant leurs antennes grises vers le dôme bas du ciel. Le pays sent l’encens et le lait, le bœuf Durham et le cierge pascal.

Tristes aussi sont les voyageurs : des Léonardes à petite coiffe et à petit châle noir, plongées en apparence, même en faisant leurs comptes, dans une perpétuelle oraison, et qui font songer aux paysannes des vitraux gothiques, telles qu’on les voit dans les images des Histoires de France ; tandis que les Léonards, sous leur chapeau à balancine et leur habit à courtes basques, ressemblent à des figurants d’opéra, glabres et dignes.

La baie de Goulven

A Plouider, le paysage change. Le ciel s’ouvre, de Plouguerneau à Tréflez et à Plounévez-Lochrist, et c’est l’un des horizons les plus lumineux, des plus étendus de la Bretagne. Le train fait feu de toutes ses roues et s’époumone à dégringoler la rampe.

Gare de Plouider

La baie de Goulven, où fut terrassé le dragon, offre au steeple des vagues, à marée montante, un beau terrain de sports matelassé de dunes. Plounéour-Trez, riche de son beau nom – Plounéour des Sables – est riche aussi des belles verdures qui l’environnent.

Gare de Brignogan : arrivée des voyageurs

Et puis voici Brignogan, qui est, en effet, une station charmante, tenant le milieu entre Carantec et Ploumanach – et comme il y en a chez nous par douzaines. – Des rochers, des criques de sable blanc, des villas de tous les styles, de tous les formats, de toutes les couleurs : des grises, des bleues, des roses, des blanches. Des villas de Goélands et des Mouettes, des Ker-Aline et des Ker-Yvonne, des Ker-Azur et des Ker-ar-Mor. Des écriteaux aux lettres blanches, consciencieusement peintes, indiquent,, à la croisée des routes, les directions du Phare et du Menhir. Des garçonnes, en fumant des cigarettes, finissent de s’ocrer les jambes au soleil, à côté de misses anguleuse, - made in England, - qui font, après leur bain de la gymnastique suédoise.

Des hôtels, - du Léon, des Bains, de la Mer, - des courts, des garages, des pompes à essence et des maisons de thé, anciennement couvertes de chaume, pour les Parisiens de Landerneau, avec five o’clock à toutes les heures.

Brignogan : le Grandhôtel

Mais de naufrageurs, à Brignogan, on n’en saurait trouver plus trace qu’à Beg-Meil ou à Saint-Pierre-Quilbignon. Alors quelque peu dépité, nous les avons recherchés ailleurs et avons fait bravement la route, jusqu’à leurs repaires présumés de Kerlouan et de Garrek-Hir. Là encore, rien que de parfaitement civilisé et pacifique.

Pêcheur de Brignogan ou Kerlouan
En route vers Kerlouan

La vieille route de l’Aberwrac’h, la route des Occismor et des Tolentes englouties, où l’on rançonnait jadis les voyageurs, s’en va d’un trait, escaladant la colline, sillonnée de camions-autos qui mêlent un relent d’essence à l’odeur salubre des ajoncs. De chaque côté, des maisons sans fenêtre de guet tournée vers le Penzé et de beaux troupeaux qui paissent. Au lieu du Sao, ou du Kousk Breiz-Izel, ou du Bro goz ma Zadou, une bergère chante, sans paraître autrement y compatir, les tribulations d’une pauvre fille de Bédouins qui, pendant soixante ans, « suivit nuit et jour une caravane ».

De robustes Kerlouanaises à bicyclette, les poings crispés sur le guidon, les petites cornes de leur coiffe de pen-maout au vent, piquent des emballages en descendant les côtes et baissent la tête comme des coureurs. A l’entrée du village, devant une belle maison de maître, des marmots aux pieds nus, aux mollets roux, qui paraissent bien appartenir à quelque colonie de vacances, parlent français avec l’accent de Montmartre ou de Ménilmontant.

Brignogan, Plounéour, Guissény

Le bourg de Kerlouan lui-même avec son unique rue bordée de maisons blanches et son presbytère auquel conduit une allée de hêtres, ne se distingue guère de tous les petits bourgs que l’on peut voir au long des routes de Léon et de Cornouaille. Une église neuve, spacieuse et banale, écrase de sa masse l’église ancienne, désormais abandonnée, aux dalles disjointes, culottée de lichens et de mousses, dépouillée de ses vitraux, - un vrai sanctuaire, sentant l’humidité marine, de boucaniers et de pilleurs d’épaves.

Des vieux saints locaux, comme Egarec et Goulven, taillés dans du bois d’œuvre de Saint-Vougay et qui ont de bonnes faces d’évêques de Saint-Pol, sont relégués dans l’ombre des bas-côtés, en proie aux brumes et aux vers, navrés, dirait-on, de leur disgrâce, pour faire place à des bondieuseries de saint Sulpice, des saint Michel et des sainte Jeanne d’Arc à l’étendard, sans caractère et sans solidité.

Avant de revenir sur nos pas, de plus en plus déçus dans notre amour de pittoresque et de couleur locale, nous nous sommes rafraîchis, en une petite auberge qui fait face à l’église et dont l’hôtesse, trottinante et menue, nous a paru tout à fait affable. Et comme nous lui exprimions notre surprise de ne trouver à Kerlouan nulle trace de ces naufrageurs au bonnet à oreillettes, qui, jusqu’à présent, en firent la gloire :

  • Comment dites-vous, mon bon monsieur ? Des naufrageurs ?

Je la regardai, stupéfait de ce qu’elle ne me comprît point davantage. Et, enfin, se ravisant, elle finit par nous dire, sur un ton de confidence :

  • Des naufrageurs ?… Au fait, je crois saisir. Ça doit être un mauvais fruit que les gens de Plounéour-Trez, des jaloux et des effrontés, ont fait courir sur notre compte, pour nous être désagréables.

François MENEZ

Le site du Curnic

Le site du Curnic

Le site du Curnic : occupation humaine ancienne

Le site du Curnic est le site préhistorique le plus riche de Guissény puisqu’il montre la présence et les activités des hommes sur cette zone depuis le néolithique jusqu’à l’époque romaine.

En septembre 1949, des archéologues, dont P.R. Giot, se trouvent sur la plage du Curnic et observent

au milieu de cette plage l’affleurement d’une belle tourbière marécageuse submergée, offrant en surface branches, racines et même de grosses souches. A l’ouest affleurait le limon sous-jacent, où l’on remarquait des polygones dont les cloisons étaient mises en relief par des racines de roseaux.

Ils reviennent les années suivantes sur le site moins dégagé et recueillent des éclats de silex taillés et des tessons de poterie qui montrent que l’argile sous-jacente à la tourbière marécageuse est un vieux sol d’habitat.

En 1958, le site ayant été exceptionnellement dégagé par la marée, ils retrouvent « des foyers construits en pierres ; les charbons de bois sont nombreux, dispersés dans la couche ; on y trouve quelques débris d’ossements d’animaux, beaucoup de tessons de poterie, les uns assez frustes (céramique d’usage), d’autre plus fins et micacés, des éclats de silex, et en particulier une flèche tranchante en quartzite, une hache en fibrolite, une hache à bouton parfaite et un tranchant de hache polie en dolérite.

Sur une partie de l’estran où le vieux sol a été érodé par la mer, on voit dans le limon jaunâtre qui lui est sous-jacent des taches circulaires ou allongées formées par des remplissages de trous par le vieux sol ; il pourrait s’agir de poteaux en ce qui concerne les taches circulaires, quoique aucune disposition de ces trous en lignes n’ait pu être notée  ».

A partir de 1961, Louis Talec visite régulièrement le site. « Les traces de trous de poteau et de fosses sont les premières évidences que l’on possède, montrant que les hommes des civilisations néolithiques occidentales possédaient des grandes maisons en bois.

Un série de datages radiocarbone, s’étageant entre 3300 et 2700 avant notre ère, montre que le site de ce village, qui s’étend au moins sur un hectare, a été habité pendant plusieurs centaines d’années consécutives. Ce site est contemporain des premiers dolmens, comme celui de l’île Carn, en Ploudalmézeau  ».

En 1962, les archéologues organisent une campagne de fouilles avec le concours de L. Talec et celui des autorités municipales pour le recrutement de la main-d’œuvre.

Le travail se fait dans des conditions difficiles car il est interrompu chaque jour et le site remblayé par la marée.

Mais le site commence a être connu des spécialistes et voit passer plusieurs chercheurs de différentes nationalités. « Il a été possible d’obtenir des précisions importantes sur la topographie du site, sa situation géologique et la répartition des traces d’habitat et d’étudier deux belles fosses parallèles juxtaposées  ».

Les foyers comprennent une série de pierres brûlées juxtaposées sur plusieurs décimètres carrés, parfois sur deux épaisseurs, reliés par une terre cendreuse noirâtre très riche en fragments de charbon de bois ; les plus petits foyers sont formés de quelques galets brûlés de granite seulement.

Des pierres brûlées isolées, très désagrégées, se trouvent un peu partout dans le vieux sol. Certains galets brûlés ont pu servir à concasser le grain.

Dans les foyers, se trouvent parfois des amas importants de charbon de bois. Plusieurs datations radiocarbone donnent des dates entre 4.000 et 2.500 avant J.C. qui montrent une longue durée d’occupation du site à l’époque néolithique, supérieure à mille ans. Les fragments de poterie sont souvent difficiles à interpréter mais quelques-uns sont caractéristiques, notamment deux fragments de rebord de « vases-supports » qui appartiennent à des vases circulaires, avec piédestal à parois convexes, typiques du « Chasséen » occidental. Les objets en pierre comprennent des haches polies et des objets en silex.

«  En juillet 1958 […], notre attention fut précisément attirée par quelques taches foncées, brunâtres, les unes circulaires, d’un diamètre de 15 à 20 cm ; les autres allongées et sans forme géométrique, de plus d’un mètre de longueur pour une largeur de quelques décimètres.

Les taches circulaires avaient en plan une apparence identique aux images que donnent les trous de poteaux classiques des maisons danubiennes dans le loess de toute l’Europe Centrale ; de même les grandes taches allongées avaient une apparence tout à fait comparable à celle des fosses d’extraction qui bordent à l’extérieur les maisons danubiennes et servent souvent de dépotoirs ou foyers, mais malheureusement il ne s’y trouvait ici aucun reste d’objet archéologique qui aurait pu en préciser l’âge.

Ces observations furent faites dans la partie occidentale de l’estran, entre le cordon de galets qui part vers Enez Kroasent et l’emplacement de la tourbière, et juste au-delà du niveau moyen des marées…

Ces constations suggèrent donc l’existence possible de maisons en bois vraisemblablement d’assez grandes dimensions.

C’est évidemment un vrai supplice de Tantale que de ne pouvoir en connaître davantage quant au plan par exemple, ni d’avoir pu en établir fermement l’âge néolithique. En effet, toutes les traces de fosses remplies de terre et de charbon de bois, que nous avons observées ensuite, en remontant la plage, que ce soit par l’effet de l’érosion naturelle ou lors de la campagne systématique que nous avons pu mener en 1962 sur le site, se sont révélées être beaucoup plus récentes ».

Dans le vieux sol se rencontrent dispersées bien d’autres traces d’activités humaines. Quelques-uns des galets granitiques brûlés paraissent avoir pu être des molettes à concasser le grain.

On y a trouvé plusieurs haches en pierre polie. Cette industrie lithique se complète par de nombreux fragments de silex taillé : quelques lames brisées, de petits nucléi, de petits rognons mais les objets finis sont rares (deux pointes de flèches par exemple).

La céramique, à l’état de petits tessons dispersés, est relativement abondante mais on n’a guère d’éléments pour préciser la morphologie exacte des vases. Il s’agit d’une céramique d’usage courant.

Quelques tessons paraissent avoir conservé à l’extérieur les reliques d’un véritable enduit de suie, comme il est naturel pour des vases culinaires ; des récipients à fond plat ont été retrouvés parmi les autres.

Ces différentes découvertes ne permettent pas de situer précisément le site dans le temps. Cet habitat n’a pu durer trop longtemps, et il est à exclure qu’il puisse avoir duré jusqu’à atteindre les débuts des civilisations du Néolithique secondaire, puisqu’il est scellé par la tourbière qui lui donne une fin bien antérieure.

On pourrait se dire qu’enfin on tient un habitat des premiers mégalitheurs, dont on a toujours pensé qu’ils vivaient sur les plaines littorales, souvent envahies par les mers actuelles, et qu’ils allaient enterrer leurs morts sur le sommet des collines à l’arrière. La distribution géographique des dolmens à galerie en liseré sur le littoral léonard, dans les îlots et les presqu’îles, cadrerait fort bien avec cette hypothèse.

Le site serait alors du Néolithique Moyen. Cependant il n’y a aucun fait interdisant de penser qu’il puisse être du Néolithique Ancien, représentant une culture antérieure aux mégalithes, qui a pu fournir le fonds régional sur lequel ce rite funéraire s’est implanté.

L’étude des pollen et des fragments de charbon de bois permet d’obtenir des datations. Une mesure donne 3.140 ans avant notre ère (± 60 ans) : cette datation dans le quatrième millénaire montre l’antiquité du gisement, situé non loin de la transition entre le Néolithique Ancien et le Néolithique Moyen.

Par rapport à l’ensemble des datations dont on dispose pour le Néolithique européen, le site du Curnic se situe d’une manière générale avant la plupart des gisements que l’on range dans les cultures du Néolithique Moyen, et après les gisements des cultures du Néolithique Ancien. En tenant compte des marges d’approximation et des décalages régionaux possibles, il ne peut donc être donné de réponse définitive au problème.

Il est également possible d’essayer d’utiliser la position du gisement par rapport au niveau marin pour en tirer quelques conclusions.

Dans la baie de Treissény, de l’autre côté du Curnic, il existe une allée couverte située sur l’estran, près de Lerret, en Kerlouan.

  • C’est un monument des civilisations du Néolithique Secondaire, correspondant au Néolithique Supérieur, et dont la position est plus élevée par rapport au niveau moyen actuel. La comparaison peut être faite aussi par rapport au menhir de Lilia en Plouguerneau.

Vers 3.000 avant notre ère, les sites du Curnic et de Lilia devaient être encore fort habitables, le niveau moyen pouvant avoir été à 6,50 mètres au-dessous du niveau de l’actuel, et un cordon littoral ou des dunes, situés par devant, pouvant avoir protégé le site des plus hautes mers.

Il n’est donc pas possible de dire avec certitude si le site d’habitat du Curnic correspond à une civilisation de la fin du Néolithique Ancien, ou d’une civilisation du Néolithique Moyen, à comparer avec celle des premiers dolmens à galerie : on dit qu’il s’agit de Néolithique Primaire Armoricain.

Mais le site du Curnic a fourni une autre découverte intéressante en 1960 : un objet en terre cuite, collé sur le limon, garni d’algues vertes qui s’y étaient fixées comme sur un galet.

Il s’agit d’un « pilier en trompette » d’un briquetage pour l’extraction du sel, preuve de l’existence dans les environs d’un briquetage de l’Age du Bronze, sinon de l’Age du Fer.

En avril et mai 1961, est apparue «  la trace noire d’une fosse garnie d’un remplissage d’une richesse extraordinaire en charbons de bois… Nous avons d’abord pensé qu’il s’agissait d’une fosse du village néolithique tant désiré ».

Mais la datation donne la date de 1270 av. J.C. . Cette fosse est retrouvée lors de la campagne de fouille de 1962, ainsi qu’une autre à proximité.

La première n’a fourni que trois petits tessons de céramique grossière (datés de 800 av. J.C.). La deuxième, beaucoup plus large et profonde, contenait moins de charbons de bois et un minime éclat de silex (daté de 1225 av. J.C.).

Le contenu de ces fosses se situe donc dans le Bronze Moyen et dans le Bronze Final. « On peut supposer avec vraisemblance qu’il y a eu une période d’assèchement du marais, et que la date de 800 avant notre ère est la plus précoce admissible pour l’utilisation des foyers, où l’on a très bien pu brûler les branches et les troncs d’arbres ayant vécu précédemment dans le marécage, et dont les souches ont subsisté jusqu’à nous ; l’emploi de ce bois ancien, souvent mort ou même en voie de fossilisation explique alors très bien les dates en apparence du Bronze moyen qui ont été obtenues ».

Au printemps 1963, L. Talec observe, à quelques mètres de l’emplacement des fosses, de curieux assemblages de pierres débitées qui semblent piquées et ordonnées en cercle dans le vieux sol. En juin et juillet 1964, ils sont mieux dégagés : les blocs de pierre, qui sont des fragments de granite débités, varient en dimensions.

Quelques très gros blocs, visibles en 1963, ont été dessouchés en 1964. « Ces appareillages de pierres piquées sont les socles de briquetage pour l’extraction du sel… Mais le cordon littoral a dû broyer depuis longtemps la plupart des restes d’éléments en terre cuite qui pouvaient accompagner ces socles.

Un goémonier et pêcheur qui fréquente cette plage nous a dit qu’une année de sa jeunesse, où la plage avait été très amaigrie, une demi-douzaine de structures similaires avaient été visibles tout à fait à l’Ouest de la plage du Curnic, non loin des rochers qui la séparent de la grande baie du Vougot  ».

Ainsi, en plus des restes de l’habitat néolithique mis en évidence dans le vieux sol scellé par la tourbière submergée, de nouvelles datations radiocarbone ont montré que les grandes fosses remplies de charbon de bois, découvertes lors des fouilles de 1962 ou vues depuis au hasard de l’érosion, correspondent à un assèchement du marais et à une nouvelle occupation du site à l’Âge du Bronze Final.

Ces fosses sont à relier à des systèmes de pierres fichées dans le vieux sol, un peu plus haut sous le cordon littoral, et qui doivent correspondre à des soubassements d’appareils pour la séparation par évaporation du sel marin ; un élément de briquetage en terre cuite, un pilier en trompette, a d’ailleurs été recueilli sur le site. Nous avons donc là le premier cas d’une industrie protohistorique du sel sur les côtes du Léon.

En 1980, le B.S.A.F. reparle du site du Curnic.

L’érosion marine mange peu à peu les vieux sols sous estran contenant des vestiges d’habitats néolithiques, c’est un sujet classique. Que les uns ou les autres observent au Curnic en Guissény, en section ou en dégagé, de nouveaux foyers n’a donc rien d’étonnant ; chaque fois que nous y allons nous photographions des structures garnies de petites pierres brûlées, mais l’intérêt s’émousse par ce qu’on n’est pas arrivé à remonter dans le temps plus haut que le Néolithique moyen alors que c’est le type de site où l’on aurait pu espérer trouver du vrai Néolithique ancien, dont les traces deviennent plus évidentes aux marges orientales du Massif Armoricain.

On est conduit à penser qu’on aurait eu plus de chances plus bas encore sur les estrans, si tous les vieux sols n’y avaient pas été érodés. Tout dépend tellement des conditions locales. Les tessons imprégnés de sel sont d’ailleurs très fragilisés.


Sources

  • GIOT (P.R.), L’HELGOUAC’H (J.), BRIARD (J.), « Le site du Curnic en Guissény (Finistère) », Les Annales de Bretagne, tome LXXII, 1965.
  • B.S.A.F., tome LXXXVII, 1961.
  • B.S.A.F., tome LXXXVIII, 1962, p. 47.
  • B.S.A.F., tome XC, 1964.
  • GIOT, B.S.A.F., tome XC, 1964, p. 285.
  • B.S.A.F, tome CVIII, 1980, p. 13.

Les origines de la commune

La Préhistoire

La Préhistoire à Guissény

Les découvertes archéologiques montrent que Guissény a connu un peuplement continu, remontant aux lointaines origines de la Préhistoire, du Paléolithique Supérieur, en passant par le Néolithique et l’âge des Métaux.

-  Le paléolithique (dans la baie de Tréssény) : Les plus vieux habitats connus sont des petits campements aménagés en bordure de côte, dans des abris naturels creusés par l’érosion dans les falaises. L’outillage comprend les premiers bifaces, outils soigneusement retouchés sur les deux côtés. Ces campements « acheuléens » peuvent remonter vers 300.000 av.J.C.

Le gisement de Tréissény est daté vers 80.000 ans. Les hommes de Tréissény ont installé leur campement sur le sable de la plage déjà abandonnée par le fait de la régression marine, profitant de l’abri relatif procuré par les blocs granitiques (les « Barrachou »). C’est une simple halte de chasse.

La grotte du Dibennou a été explorée en 1879 par le docteur Marion : « cette grotte contenait des cendres, une hache de pierre polie, des os incomplètement brûlés et deux mâchoires inférieures avec des vertèbres, des ossements humains et de mamifères ». On y trouva aussi une poterie brune et une broche en porphyre.

-  Le néolithique (sur le site du Curnic) : C’est l’époque des mégalithes : menhirs, alignements, dolmens, tumulus, cairns, allées couvertes. Or il n’existe pas de mégalithes sur le territoire de la commune, contrairement aux communes voisines : "ont-ils été détruits ? Subsistent-ils couchés parmi les roches parsemant les landes ou enfouis sous la terre ? ".

Les habitats du néolithique sont rares mais on a trouvé quelques traces de trous de poteaux de maisons en bois sur le site du Curnic. Cet habitat se trouve sur la plage au niveau moyen des marées, ne se découvrant qu’à marée basse, installé sur un sol d’argile fine recouverte par une tourbière. Des juxtapositions plus ou moins régulières de pierres brûlées constituent les vestiges de foyers où des charbons de bois ont été recueillis (datés d’environ 4.800). On a trouvé aussi des haches polies, des pointes de flèches, de la poterie du 4e millénaire.

Une allée couverte existe sur la rive kerlouanaise de la baie de Tréissény, au Lerret. D’une longueur totale de 15 mètres, elle se trouve sur la plage, en partie dans le lit du Quillimadec et recouverte par les marées.

  • La protohistoire (âge des métaux) :

. L’âge du bronze : 3 tumulus ont été explorés à Kergoniou en 1881 et d’autres ont été trouvés à Kériber, Keriouguel, Kerilis, Kervezel et Ranhir. Ensuite, ces tumulus ont été remplacés par des incinérations en urnes, regroupées en cimetières. C’est en bordure des côtes que les restes d’habitats sont les plus nombreux. La fabrication du sel marin apparaît à cette époque : le gisement côtier du Curnic en a fourni des traces.

. L’âge du fer : cette période voit apparaître la construction de camps retranchés sur les collines et l’installation d’habitats de refuge sur des pitons rocheux. Les plus vieux souterrains remontent aussi à cette époque, comme celui de Kériouguel ou celui de Ranhir. Sur la plage de La Croix a été retrouvé un petit cimetière gaulois avec urne cinéraire (La Tène, vers 500 av.J.C.).

C’est aussi l’époque des stèles : Ranhir, Lavengat, Saint-Gildas, Kériber (voir l’article dans la rubrique patrimoine)

Le site de Toullouarn montre l’existence d’un village assez important de l’âge du fer. La carrière a décapé à flanc de coteau des fossés à section triangulaire profonds, parallèles aux courbes de niveau, sur une assez grand surface. Des fosses, des pierres utilisées, meules et molettes, foyers avec charbon de bois, tessons de poterie… témoignent des activités domestiques. Certains enclos sont associés à des chambres souterraines, annexes de la maison d’habitation.

Les origines préhistoriques.

Les origines préhistoriques

Les découvertes archéologiques montrent que Guissény a connu un peuplement continu, remontant aux lointaines origines de la Préhistoire.

Le Paléolithique

les plus vieux habitats connus sont des petits campements aménagés en bordure de côte, dans des abris naturels creusés par l’érosion dans les falaises.

L’outillage comprend les premier bifaces, outils soigneusement retouchés sur les deux côtés. Ces campements « acheuléens » peuvent remonter à 300.000 avant J.C.

La baie de Tressény, qui forme l’estuaire du Quillimadec, a fourni sur ses deux rives plusieurs sites préhistoriques, pouvant remonter à 80.000 ans av.J.C. Du côté de Guissény, on peut citer :

  • la plage de la Croix,
  • les Barrachous,
  • la grotte du Dibennou (sous le corps de garde)
  • le port du Curnnic.

Le Néolithique et l’âge des métaux

le site le plus important est celui du Curnic où ont été retrouvés, dans la tourbière, des trous de poteaux d’habitation, restes d’un village néolithique (4.000 à 2.500 av.J.C.) et des restes d’une industrie du sel datant de l’âge du bronze (800 à 500 av.J.C.)

La commune n’a pas conservé ses mégalithes, ni menhir, ni dolmen ; une allée couverte en partie immergée se trouve dans la baie, du côté de Kerlouan, en partie immergée dans le lit de la rivière.

En revanche, des tumulus ont été découverts, notamment à :

  • Kergoniou
  • Keriber.

Quelques stèles de l’âge du fer existent également à Ranhir :

  • Saint-Gildas
  • Lavengat.

Guissény, d’hier à aujourd’hui

Les grandes dates de l’histoire

Les grandes périodes de l’histoire de Guissény

Les origines préhistoriques.

Les découvertes archéologiques montrent que Guissény a connu un peuplement continu, remontant aux lointaines origines de la Préhistoire. Le Paléolithique : les plus vieux habitats connus sont des petits campements aménagés en bordure de côte, dans des abris naturels creusés par l’érosion dans les falaises. L’outillage comprend les premier bifaces, outils soigneusement retouchés sur les deux côtés. Ces campements « acheuléens » peuvent remonter à 300.000 avant J.C. La baie de Tressény, qui forme l’estuaire du Quillimadec, a fourni sur ses deux rives plusieurs sites préhistoriques, pouvant remonter à 80.000 ans av.J.C. Du côté de Guissény, on peut citer : la plage de la Croix, les Barrachous, la grotte du Dibennou (sous le corps de garde) et le port du Curnnic.

Le Néolithique et l’âge des métaux : le site le plus important est celui du Curnic où ont été retrouvés, dans la tourbière, des trous de poteaux d’habitation, restes d’un village néolithique (4.000 à 2.500 av.J.C.) et des restes d’une industrie du sel datant de l’âge du bronze (800 à 500 av.J.C.) La commune n’a pas conservé ses mégalithes, ni menhir, ni dolmen ; une allée couverte en partie immergée se trouve dans la baie, du côté de Kerlouan, en partie immergée dans le lit de la rivière. En revanche, des tumulus ont été découverts, notamment à Kergoniou et à Keriber. Quelques stèles de l’âge du fer existent également à Ranhir, Saint-Gildas et Lavengat.

***********************************************

L’antiquité romaine.

L’occupation romaine a également laissé des traces à Guissény : un vivier gallo-romain a été mis au jour dans la dune du Curnic en 1967 ; il fonctionna jusqu’aux environs de 300 ans après J.C. La grande villa de Keradennec (du IIè au IVè siècle ap.J.C.), située à proximité de la voie romaine allant de Vorganium (Kerilien) à Plouguerneau, se trouve désormais sur la commune de Saint-Frégant.

La fin de l’occupation romaine fut marquée par les premières invasions des pirates sur les côtes d’Armorique. La vie de saint Guénolé en raconte un épisode concernant son père Fragan qui repoussa une flotte de « pirates » en 388 : la flotte avait été repérée depuis les hauteurs de Coras-Mil-Horn en Guissény.

*************************************************

Saint Sezny et la création de la paroisse.

Saint Sezny, moine irlandais, aurait débarqué dans l’estuaire du Quillimadec en 477 avec son compagnon saint Brévalaire et 70 disciples. Il s’installa d’abord au Lerret (Peniti san Sezni), du côté de Kerlouan, avant de passer sur l’autre rive à kerbrézant, puis sur le site de son église actuelle. Il y aurait bâti un monastère en un lieu qu’il dénomme Guic-Sezny et vécu en grande sainteté avec ses disciples jusqu’à l’âge de 127 ans. Après sa mort, des Irlandais vinrent enlever son corps pour le ramener dans son évêché d’origine. Les cloches se mirent à sonner toutes seules pour alerter les Guisséniens qui ne purent récupérer qu’un bras du saint. Celui-ci est conservé dans un reliquaire datant du XVIIIe siècle, l’authenticité de la relique étant certifiée par un parchemin.

La paroisse, fondée par saint Sezny, venu d’Irlande au Ve siècle, est nommée, dans les anciens textes, « Plou-sezny » ou « Guic-sezny », la première appellation désignant toute l’étendue de la paroisse et la deuxième concernant plus directement le bourg : Plebs Sidni (1207), Ploe Sizni (1330), Plebs Sezni (1334), Ploeseny (1467), Plouzesny (15334), Guic-Sezni (1636)… Les seigneurs barons de Kériber se considéraient comme les fondateurs de la paroisse : un acte de 1670 parle d’une fondation faite par Salomon de Kériber « qui mourut en 1493, 1041 ans après la fondation de l’église paroissiale de Guissény ». Au XVIIe siècle, on faisait donc remonter la fondation de l’église en 452 alors que « La vie de saint Sezny » d’Albert Le Grand situe l’arrivée du saint dans l’estuaire du Quillimadec en 477. Les seigneurs barons de Penmarc’h protestaient contre la prétention des seigneurs de Kériber de se dire fondateurs de l’église et affirmaient de leur côté que cette qualité appartenait en fait à la maison de Penmarc’h. Les cloches de l’église paroissiale sonnent orientées Nord-Sud et non pas Est-Ouest comme ailleurs : cette orientation leur permettait de se faire entendre de Kériber et de Penmarc’h, comme le veut une tradition locale !

***********************************

Le Moyen Age.

La paroisse de Guissény faisait partie de l’archidiaconé de Kemenet-Ily relevant de l’évêché de Léon et était sous le vocable de saint Sezni. Elle avait comme trève Saint-Frégant. La carrière de Toullouarn a fourni les traces d’un village gaulois d’assez grande dimension, entouré d’un fossé, pouvant remonter à l’âge du fer. Le site de Kermaro se trouve dans une légère dépression du plateau, sur le haut de falaise morte qui domine la baie du Curnic. Il a conservé les restes d’une construction constituée de grosses pierres alignées ; elle est limitée à l’Est par un talus bordé d’un fossé intérieur et, dans sa partie sud, par un muret ancien. Il s’agit des vestiges d’un habitat du Haut Moyen Age, pouvant se situer entre le VIe et le IXe siècles. Ce site a continué à être habité dans les siècles suivants.

La motte castrale de Castel-al-Lez s’élève un peu en retrait et au sommet du versant qui domine la Palud du Curnic, à l’extrémité ouest de Guissény, en limite de Plouguerneau. Elle mesure 64 à 74 mètres de diamètre à la base et est entourée d’un fossé large de 6 à 8 mètres. D’une hauteur de 6 à 7 mètres au-dessus du fond du fossé, elle dominait la baie du Vougot et l’entrée de la baie du Quillimadec, et permettait de surveiller la mer et de repérer l’arrivée d’éventuelle flottes d’envahisseurs, comme les Normands.

****************************************

L’époque moderne.

Les manoirs sont nombreux : on en trouvait dans pratiquement tous les villages. Il est encore possible d’y voir d’anciennes « maisons manales » qui se distinguent des autres constructions par des portes sculptées, des fenêtres à meneaux, des escaliers circulaire en pierre… (comme à Kerespern, Kerléac’h,…). Les armoiries des familles nobles principales se retrouvent dans le blason de Guissény : Poulpry de Lavengat, Kerven de Kersulec, Penmarc’h et Kériber. Ces deux derniers seigneurs avaient le titre de Baron ; le château de Penmarc’h se trouve désormais dans la commune de Saint-Frégant qui était à l’époque une trève de la paroisse de Guissény.

La famille de Poulpry a fourni des Sénéchaux à la ville de Lesneven. La famille de Kerven était propriétaire de plusieurs manoirs à Guissény : Kersulec, Kervelléré, Kerespern, Terrohan et la Vigne (le « château »), plus le manoir de Lestourduff à Plouider. Le manoir de Kériber est passé, après la mort de Salomon de Kériber au XVe siècle, dans les familles Rannou de Pratmeur en Ploudalmézeau, puis de Sanzay. Il existait également une autre famille importante, les Gouzillon, seigneurs du Hellez et de Kergoniou. A partir du XVIIe siècle, la famille Henry de Kergoff, enrichie dans le commerce (du lin notamment), entre dans la noblesse et s’installe dans le manoir de Kerangoff. Le curé de Guissény, amené à décrire la paroisse à son évêque de Léon en 1774, parle d’une population composée d’environ 500 ménages, parmi lesquels une centaine de mendiants. Les principales causes de la mendicité étaient « la cherté des bleds, le défaut d’ouvrage surtout en hyver, la vieillesse et l’enfance ». Il demande qu’il soit permis aux habitants de la côte de couper, sécher et vendre le goémon « parce qu’ils n’ont pas d’autres ressources pour se procurer leur provision de bois et payer leur petite ferme ».

************************************

La Révolution Française.

Guissény a traversé la période révolutionnaire sans trop de problèmes, mais la création de la commune entraîne la séparation avec son ancienne trève de Saint-Frégant. Le cahier de doléances, rédigé par le corps politique, reprend la plupart des articles du modèle fourni par la Sénéchaussée de Lesneven mais se distingue par deux articles plus particuliers : les doléances contre l’usage obligatoire du moulin banal du seigneur et les taxes sur « le vin et l’eau de vie » qui sont plus élevées pour les paysans que pour les nobles et le clergé.

Guissény est placée dans le canton de Plouguerneau et le district de Lesneven ; Saint-Frégant rejoint le canton de Guicquelleau. En 1791, les limites de la paroisse de Guissény sont définies ainsi : « dans la partie orientale, à prendre depuis le bourg paroissial de Kerlouan et depuis la ligne de démarcation qui dévale du moulin de Lavengat et tout son ancien arrondissement, exceptés les villages et lieux qui ont été enlevés et qui sont réunis pour former la paroisse de Saint-Frégant jusqu’aux villages et lieux qui seront détachés par la formation de la paroisse de Kernilis ; dans la partie occidentale, les anciennes limites, connues, existantes et qui sont la disjonction des paroisses de Guissény et de Plouguerneau ; dans la partie septentrionale, la Manche ». Les problèmes administratifs liés aux nouvelles délimitations des communes et des paroisses se poursuivent jusqu’à la fin de la Révolution. Après le vote de la Constitution Civile du Clergé par les députés, le curé de Guissény Jacques Folly refuse de prêter le serment de fidélité à cette constitution et quitte la paroisse. Les deux vicaires Christophe Riou et Yves Premel-Cabic refusent également le serment mais restent dans la paroisse ; les paroissiens cachent les deux réfractaires, notamment aux manoirs de La Vigne et de Kerespern, et rejettent le curé constitutionnel qui est même agressé par des Guisséniennes en 1795. Après la révolte du Léon de 1793, Guissény est occupée militairement et doit payer une amende : en mars 1793, Guissény a fait partie, avec Plounéventer, Ploudaniel, Plouguerneau et Kerlouan, des communes condamnées à payer une contribution ; soit 7.000 livres de dédommagement pour s’être rebellée contre le gouvernement républicain. Le sacristain Jean Castel est interrogé par le tribunal du district pour savoir s’il a sonné le tocsin pour appeler à la révolte ; il nie tout et est remis en liberté. Le maire François Gac, de Kerespern, et son conseil municipal furent destitués en remplacés par un nouveau conseil, désigné par les autorités révolutionnaires du district de Lesneven. La Révolution cherche à installer les premières écoles en langue française « pour déraciner la funeste habitude d’un idiome esclave, contraire à l’égalité des Français et à l’indivisibilité de la République ». Le premier instituteur nommé par l’administration est Guillaume Roudaut, marchand à Guissény et résidant à Goulven ; puis le citoyen Martin Rolland, ancien notaire de la paroisse.

**************************************

Le XIXe siècle.

La première moitié du XIXe siècle est agitée par un conflit entre Guissény et Plouguerneau au sujet de la possession de la « Sécherie » en bordure de la plage du Vougot. La propriété de ce terrain est importance car il détermine la récolte du goémon qui a une grande importance pour les riverains de cette époque : Guissény en revendique la possession au nom d’un acte de concession de Louis XVI en 1788. Le conflit aboutit à deux procès en 1854 et 1855 qui tranchent en faveur de Guissény. Mais les contestations continuèrent encore dans les années suivantes au sujet des délimitations. Le XIXe siècle est également marqué par un événement important pour la commune de Guissény : la construction de la digue du Curnic-Nodeven. Une première digue est construite, entre la pointe de Beg-ar-Skeiz et la pointe du Dibennou, en 1831-1833, mais elle est détruite par une tempête dès 1833. Une deuxième digue est construite en retrait de la première en 1834-1836 : d’une longueur de 600 mètres, elle a résisté depuis lors aux marées et aux tempêtes.

Petit à petit dans la première moitié du siècle, les écoles publiques se développent, l’école des garçons et l’école des filles. Il devient nécessaire pour le conseil municipal d’envisager la construction d’une maison d’école qui pourra servir également de mairie. Les travaux commencent en 1847 et la réception a lieu le 17 mai 1848, avec des malfaçons qui entraînent un conflit entre le maire et l’entrepreneur jusqu’en 1856. La loi Falloux de 1850 rend possible l’ouverture d’écoles libres : en 1854, le recteur fait appel aux religieuses pour ouvrir une école des filles dans l’ancien presbytère et l’école des garçons est ouverte en 1856 par Goulven Cadiou, l’ancien instituteur communal. Par la suite, les villages de Keriber, puis de Brendaouez demandent à avoir une école de hameau, vu leur éloignement du bourg, mais leurs demandes sont rejetées par le conseil municipal.

******************************************

Le XXe siècle.

La première moitié du XXe siècle a surtout été marquée par les guerres et leurs nombreuses victimes :

  • 107 décès pour la Première Guerre mondiale (1914-1918)
  • 52 décès lors de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), dont 25 marins, 19 soldats, 5 résistants – FFI et 3 civils.
  • 7 décès lors de la guerre d’Indochine.
  • 8 décès lors de la guerre d’Algérie. La seconde moitié du XXe siècle a vu la poursuite du développement du collège technique Skol-an-Aod, l’excellente réputation de sa formation professionnelle attirant des élèves de parfois loin et fournissant de nombreuses recrues pour la Marine Nationale.

Les années 50 sont aussi le début de la transformation du paysage agricole avec la modernisation de l’agriculture, passant par le remembrement, le développement des cultures légumières et la mécanisation. Tout au long du siècle, les progrès techniques ont permis une amélioration progressive des conditions de vie des Guisséniens : le téléphone, l’électricité, l’eau courant, l’automobile,…

L’époque romaine

L’occupation romaine

L’occupation romaine à Guissény

  • L’occupation romaine a laissé moins de trace à Guissény que la Préhistoire mais quelques sites ont, plus particulièrement, montré la réalité de cette occupation :
  • Kernevez (au sommet de la falaise morte qui domine la palue) : fragments de poterie commune, sigillée, de type terra negra ;
  • sur une butte entre Kerleac’h et Kerrigent : de la céramique en surface et des fragments d’amphore ;
  • la plage de La Croix : tessons de poterie, du néolithique au moyen âge.

Deux sites ont été le cadre de fouilles plus importantes : le vivier du Curnic et la villa gallo-romaine de Keradennec, en Saint-Frégant, ancienne trève de la paroisse de Guissény.

  • Le réservoir à poissons du Curnic a été découvert en 1967 : une forte marée a mis à nu quelques tronçons de murs, au pied de la dune, à la limite des hautes eaux. L’établissement entier a été mis au jour en 1968, il n’était pas submergé par la marée dans l’Antiquité. Il se compose d’une salle rectangulaire de 6m x 5,32m, l’intérieur divisé en deux parties par un muretin : un bassin et une zone dallée.

L’ensemble du bâtiment était couvert de tuiles. A partir notamment des monnaies retrouvées sur le site, la ruine de l’édifice peut être estimée entre 270 et 337 ap.J.C. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’il s’agissait d’un vivier, d’un réservoir à poissons et à coquillages.

  • Le site de la villa gallo-romaine de Keradennec est une grande exploitation agricole qui a connu une longue période d’activité, étalée sur les premiers siècles de notre ère. Elle se trouve près de la voie romaine allant de Kérilien en Plounéventer (Vorganium) à Plouguerneau. Ce type de villae devait appartenir à de grands propriétaires fonciers qui, ne résidant pas ordinairement dans leur domaine, le faisaient travailler en partie par des ouvriers agricoles ou de petits fermiers dirigés par un intendant, le reste étant divisé en lots affermés à des paysans libres qui vivaient dans des fermes isolées et payaient des redevances.

La villa à galerie de façade a été radicalement transformée et agrandie au début du IIIe siècle : des pièces d’habitation et une tonnelle, des thermes et des bâtiments agricoles. Le sol était dallé et le bas des murs recouvert de lambris des mêmes matériaux. On a retrouvé aussi des fragments d’enduit peint provenant d’une décoration appliquée sur les murs et les plafonds.

  • Au IVe siècle, les frontières de l’Empire romain sont de plus en plus menacées par les attaques des « Barbares ». Les invasions des pirates sur les côtes de l’Armorique sont signalées dans les vies des Saints, en particulier celle de Saint Guénolé qui présente un épisode en rapport avec Guissény et la croix de Croas-Milhorn : "Le Roy Grallon estant venu à la Couronne par le décès de Conan Meriadec, l’an 338, continua Fragan en son Gouvernement… Un jour saint Guennolé estant, par permission de saint Corentin, allé voir son père, qui estoit pour lors en Léon, certains Pirates Payens, que Fragan avoit chassés de Léon, du temps du feu Roy Conan, revinrent en plus grand nombre, résolus de prendre terre et s’y habituer ; leur flotte ayant paru en Mer, l’allarme se donna à la coste, et Fragan, ayant amassé une petite Armée à la haste, encouragé par saint Guennolé, marche vers le rivage de la Mer pour empescher l’ennemy de descendre, et, estant en la paroisse de Guic-Sezni, près Lanvengat, ils apperçurent la flotte ennemi en rade, si époisse que les mats des Navires sembloient représenter une forêt, ce qu’estant veu par le conducteur de l’avant-garde, s’écria Mel a vel mil Guern, c’est-à-dire je voys mille mats de Navires. En mémoire de quoy, après la bataille, fut dressée en ce lieu une croix, qui encore à présent s’appelle Croas ar mil Guern…".

"Les Pirates, se sentant découverts, se rallièrent dans les tranchées de leur camp, ne voulant donner combat, mais les Bretons les y assaillirent de telle furie, que, les ayant forcés, ils taillèrent la plupart en pièces, excepté quelques uns qui se sauvèrent à la nage vers leurs vaisseaux, desquels plusieurs furent brûlés".

Le Moyen-Age

La motte castrale

La motte castrale de Castel-al-Lez

La motte castrale de Castel al Lez.

La motte castrale, ancêtre du château-fort, se situe à l’extrémité ouest de la commune, en limite avec Plouguerneau.

Ces mottes sont apparues un peu partout en Europe au début du XIe siècle et ont cessé d’être utilisées vers le XIIIe siècle. Leur construction correspond à une période d’insécurité ; les seigneurs locaux ne disposaient que de faibles ressources et ne pouvaient entreprendre des constructions de pierre.

Ils pouvaient utiliser les paysans de leur domaine pour creuser le sol, charrier la terre nécessaire à l’édification de la motte, abattre les arbres et préparer le bois pour la construction de la tour.

Par la suite, les seigneurs les plus importants ont pu remplacer la tour de bois par un donjon de pierre, placer un pavage de pierre sur les flancs du tertre et même rajouter des remparts.

La motte de Castel al Lez s’élève un peu en retrait et au sommet du versant qui domine la Palud du Curnic, à l’extrémité ouest de la commune de Guissény. Elle mesure 64 à 74 mètres de diamètre à la base et est entourée d’un fossé large de 6 à 8 mètres.

En contrebas de la motte, se trouve la « basse cour », les bâtiments d’exploitation agricole et les maisons des paysans, avec parfois une chapelle.

Elle est séparée de la basse cour par le fossé qui entoure le monticule.

La ferme a été implantée à une cinquantaine de mètres au sud-ouest du tertre.

La motte est haute de 6 à 7 mètres par rapport au fond du fossé profond de 3 à 4 mètres.

La plate-forme mesure 30 à 40 mètres de diamètre : elle a un profil en cuvette.

Des pierres y auraient autrefois été récupérées et, selon la tradition, il existait un « tunnel ».

La motte domine la baie du Vougot ; de son sommet, on pouvait surveiller la mer et voir arriver d’éventuelles flottes d’envahisseurs, comme les Normands.

Le site de Kermaro

Un site gaulois à Kermaro

LE SITE ARCHEOLOGIQUE DE KERVARO EN GUISSENY

Description sommaire

Le site de Kervaro est érigé sur une parcelle de plus de 2000 m2 au nord-Ouest du hameau du même nom, dans une légère dépression proche de la courbe de niveau des 50 mètres dominant le palud du Curnic. Limité dans sa partie orientale par un talus bordé d’un fossé intérieur et dans sa partie sud par un muret ancien, le site abrite une ruine faite de grosses pierres ainsi qu’un nombre important d’autres roches affleurantes disséminées sur la parcelle, deux d’entre elles, sur la partie nord, de forme arrondie faisant penser à des meules grossièrement taillées.

Petit historique

Au début des années 50 cet espace était encore très ouvert. C’est ainsi que Bertrand Lagadec le découvrit grâce à son père au cours d’une partie de chasse. Il y revint plus tard avec sa famille et y pratiqua quelques fouilles. Il me convia peu après à me livrer à l’exploration du site.

Laissé à l’abandon pendant de nombreuses années, ce dernier était encore relativement accessible en 1997, à condition d’en connaître le passage pour y pénétrer. Sur mes indications, un ami brestois passionné d’archéologie put ainsi dresser un plan coté de l’habitat existant.

Plan

Sept ans plus tard, soit en 2004, la végétation intrusive composée de prunelliers sauvages, d’aubépines et de ronciers géants avait envahi tout l’espace et rendu la parcelle pratiquement inaccessible. Cependant en compagnie de Bertrand, je réussis à trouver un autre passage et ainsi à nous frayer un chemin, (au coupe-coupe et à la tronçonneuse !) jusqu’à cette ruine qui à nos yeux n’était autre qu’un dolmen sans sa table, sorte de début d’allée couverte datant de l’époque néolithique.

**********************************

1re visite sur le terrain

J’alertai alors Monsieur Le Goffic, Conservateur en chef du service archéologique du Finistère, lequel confirma que ce site n’était pas répertorié et qu’une visite l’intéressait vivement. Rendez-vous fut pris pour octobre 2004.

M. Le Goffic identifia ces pierres non pas comme des vestiges d’une allée couverte mais plutôt comme ceux d’un habitat du Haut Moyen âge, c’est à dire pouvant se situer entre le VIe et le IXe siècle.

C’était à son avis une découverte intéressante car rares sont les vestiges de l’époque médiévale en Bretagne. Il put voir aussi les pierres rondes sans toutefois en identifier l’origine. Néanmoins la communication très intéressante qu’il publia dans le bulletin archéologique du Finistère de l’année 2005 et reproduite ci-après, n’aboutit pas à une conclusion définitive sur l’origine de ce petit bâtiment.

Guissény, Kervaro [Michel Le Goffic - Bulletin archéologique du Finistère (2005)]

"Le hameau de Kervaro, perché sur le haut de la falaise morte, domine d’une cinquantaine de mètres la palud du Curnic. Dans les fourrés de prunelliers et de ronces qui se trouvent à 200 m à l’ouest, en bordure de la rupture de pente, l’attention de notre sociétaire M. Jacques Buttet a été attirée par des structures de pierres qui l’ont intrigué et qu’il nous aimablement fait connaître. La progression à travers les épineux est particulièrement difficile et ne permet pas d’avoir une vision éloignée des accidents de terrain. Néanmoins, nous avons pu reconnaître des talutages formés de pierres dressées et de terre, prenant souvent appui sur des effleurements naturels de roche ou sur des blocs dégagés par l’érosion météorique. Un petit bâtiment, constitué de grosses pierres sur chant, la plus grosse atteignant 2,55 de longueur et dont la hauteur ne dépasse pas le mètre, a une surface interne de 7m2 environ, en forme de trapèze de 2.45 de grande base, 2 m de petite base et 3.05 m de hauteur. Il y a une quarantaine d’années, une fouille partielle a eu lieu dans cette structure et elle a fourni un lot important de tessons de faïence, de grès, de verre, des fragments d’assiettes à marli, de bols, de bassins à glaçure interne, etc., qui témoignent d’une occupation entre le XVIe siècle et le début du XXe siècle. Cependant, plusieurs tessons sont nettement plus anciens et datent de l’âge de fer, période de La Tène. Ce site, qui n’a jamais été labouré, constitue donc une »réserve archéologique » qui ne manquera pas d’intéresser les archéologues du futur. La parcelle la plus intéressante est la n° 9 section A du cadastre de 2005, mais toutes les parcelles circumvoisines font partie de ce site, dont l’épicentre a pour coordonnées Lambert : x =100,550 ; y = 1124,750, à une altitude de 50 m".

2e visite

En octobre 2009 en prévision de la visite sur des sites répertoriés de La Commune, dont celui de Kervaro, une équipe de « Spered Bro » s’est attelée au travail de débroussaillage car en cinq ans tout avait disparu sous la même végétation.

Pour le public guissénien participant à cette visite ce fut une heureuse découverte. Mr Le Goffic confirma sa première analyse, à savoir que l’on était vraisemblablement en présence d’un habitat du Haut Moyen et qu’il serait intéressant de dégager les autres pierres pour mieux appréhender son insertion dans la parcelle.

Des personnes d’un certain âge du hameau de Kervaro ayant emboîté le pas aux visiteurs ont pu apporter un témoignage intéressant : leurs parents racontaient que cet habitat abritait autrefois une famille. Il était alors recouvert d’un toit constitué de branchages lequel fut un jour détruit par un incendie et les choses en restèrent en l’état.

Comme le montrent le texte et le croquis ci-dessous, le site de Kervaro une fois dégagé pourrait révéler d’étranges similitudes avec une implantation datant du Haut Moyen Age.

**********************************

L’Habitat au Haut Moyen Age (6e au 8e siècle) en Bretagne [d’après la maison paysanne en Bretagne, ouvrage de Noël-Yves Tonnerre]

Groupés en enclos, ces habitats se trouvent plutôt en hauteur, abrités par la crête sur de légères pentes sud.

Matérialisés par des murets de pierres généralement curvilignes de 50 à 80 mètres, ces enclos comportent deux ou trois maisons rudimentaires, abritent le bétail et les jardins, les champs se trouvent à l’extérieur, souvent limités par des fossés.

Les maisons, d’environ 7 mètres sur 3 intérieurement, sont rectangulaires. Les murs bas (de 1 à 1.5 mètres) sont constitués de gros blocs de pierre dont les interstices sont comblés de tout venant, Un passage est aménagé en bout.

La couverture est assurée par une charpente faite de branches et couverte de fascines et de chaumes. Il n’y a pas de cheminée.

Vers l’extrémité opposée à l’accès une tranchée transversale sert de séchoir à grain et jouxte le foyer.

Ce type d’habitat est dans la continuité de l’habitat gaulois et a sans doute été occupé, ne serait-ce que comme étable, pendant plusieurs siècles.

Dessin de Michaël Batt du Service Régional d’Archéologie

****************************

Conclusion

La recherche et la découverte d’un site restent chose passionnante. Celui de Kervaro encore dans la mémoire des anciens habitants du hameau mais restée longtemps ignoré des guisséniens, a enfin été répertorié à l’inventaire des sites archéologique du Finistère.

Son origine remonterait à une époque sur laquelle on a peu de renseignement. Dans son incontournable « Histoire de la Bretagne et des Bretons », Joël Cornette écrit : « Après la disparition de Grégoire de Tours en 594, nous perdons notre principal informateur : pour un siècle et demi, les Bretons échappent aux historiens, faute de sources… ».

On pourrait donc situer son origine entre les « règnes » de Judicaël (époque de Dagobert) et de Nominoë (époque de Charles le Chauve).

On pourrait aussi avancer l’hypothèse d’une réoccupation des lieux, lesquels remonteraient à une époque beaucoup plus ancienne, comme l’ont pensé les « découvreurs » du site en présence des grosses pierres fermant la partie nord de l’habitat. Peut-être qu’une fouille complète pourrait-elle apporter une réponse à ce questionnement.

Jacques Buttet

Les pirates

Les Vikings, attaques des pirates sur la côte

Les attaques des pirates sur la côte

Commencées à la fin de l’occupation romaine, les incursions des pirates scandinaves continuèrent au début du Moyen Age. Les Germains continentaux prirent l’habitude d’appeler les Scandinaves « les hommes du nord », donc « Nordman » qui devint Normand. Ce mot, malgré sa forme exotique, fut adopté tel quel par les populations romanes de la Gaule. Puis vint l’appellation de Vikings.

Ces « païens du nord » déclenchent brusquement une vague d’incursions aux alentours de l’an 800 et, pendant près d’un siècle et demi, ils ravagèrent les côtes occidentales. Les guetteurs sur nos côtes fouillaient des yeux la haute mer et tremblaient d’y découvrir les proues des barques ennemies ; et les moines, dans leurs scriptoria, étaient occupés à noter les pillages.

Les rites funéraires permettent de se représenter avec précision une flotte normande : la tombe des chefs était composée d’un navire, caché sous un tertre de terre amoncelée. Les « longues nefs » qui répandirent la terreur en Occident étaient des barques non pontées, par l’assemblage de leur charpente, chefs-d’œuvre d’un peuple de bûcherons, par l’adroite proportion des lignes créations d’un grand peuple de matelots. Elles étaient longues, en général, d’un peu plus de vingt mètres et pouvaient se mouvoir soit à la rame, soit à la voile. Elles portaient chacune, en moyenne, de quarante à soixante hommes (sans doute passablement entassés). Leur rapidité atteignaient, sans peine, une dizaine de nœuds. Le tirage d’eau était faible : à peine plus d’un mètre : un grand avantage lorsqu’il s’agissait, quittant la haute mer, de s’aventurer dans les estuaires, voire remonter les fleuves.

Drakkar

Pour les Normands, les eaux n’étaient qu’une route vers les proies terrestres. Si les voiles et les rames ne suffisaient pas, on avait recours au chemin de halage. Souvent pour ne pas trop charger les nefs, un détachement suivait pas voie de terre. Fallait-il gagner les bords par des fonds trop bas ? Ou se glisser, pour une razzia dans une rivière trop peu profonde ? Les canots sortaient des barques. Ces merveilleux marins ne craignaient nullement la terre, ses chemins et ses combats. Ils n’hésitaient pas à quitter la rivière pour se lancer, au besoin, à la chasse au butin. Les pillages étaient fructueux ; la terreur que, par avance, ils inspiraient ne l’était pas moins.

Le débarquement aurait eu lieu sur la côte de Guissény-Kerlouan et notamment dans l’embouchure du « Roudouhin » (ou Roudoushir, rivière de Guissény) : « Un beau jour une flotte normande déposa sur l’une des grèves du littoral léonais, à quatre ou cinq lieues nord de Lesneven, une armée piratique qui se répandit aussitôt dans la campagne, pillant, brûlant, ravageant ces champs, ces maisons fraîchement relevées, et se dirigeant sur la résidence du comte ».

En 875, Lesneven, alors dépourvue de fortifications, fut prise et détruite : tout le pays fut transformé en désert . En 937, le Comte Neven, qui a reconstruit à Lesneven une belle forteresse en terre à la mode de ce temps, s’opposa à ne nouvelle attaque des Normands.

Le débarquement aurait eu lieu sur la côte de Guissény-Kerlouan et notamment dans l’embouchure du « Roudouhin » (ou Roudoushir, rivière de Guissény) : « Un beau jour une flotte normande déposa sur l’une des grèves du littoral léonais, à quatre ou cinq lieues nord de Lesneven, une armée piratique qui se répandit aussitôt dans la campagne, pillant, brûlant, ravageant ces champs, ces maisons fraîchement relevées, et se dirigeant sur la résidence du comte ».

Ne faut-il pas aussi rapporter à cette campagne d’EVEN le Grand contre les Normands ce que dit « La Vie de saint Guénolé » sur les combats menés par saint FRAGAN, son père, contre les pirate païens : « certains pirates païens que Fragan avait déjà chassés de Léon, revinrent en plus grand nombre, résolus de prendre terre et s’y habituer ; leur flotte ayant paru en mer, l’alarme se donna à la côte et Fragan, ayant amassé une petite armée à la hâte, encouragé par saint Guénolé, marche vers le rivage de la mer pour empêcher l’ennemi de descendre. Étant en la paroisse de Guissény, près de Lanvengat, ils aperçurent la flotte ennemie en rade, si épaisse que les mâts des navires semblaient représenter une forêt : ce qu’étant vu par le conducteur de l’avant-garde, il s’écria « Me a vel mil guern », c’est-à-dire « je vois mille mâts de navires ».

CroasMilhorn

En mémoire de quoi, après la bataille, fut dressée en ce lieu une croix qui, encore à présent, s’appelle « Croas ar mil guern ». Les pirates se sentant découverts, se rallièrent dans les tranchées de leur camp, ne voulant donner combat. Mais les Bretons les assaillirent de telle furie que, les y ayant forcés, ils taillèrent la plupart en pièces, exceptés quelques-uns qui se sauvèrent à la nage vers leurs vaisseaux, desquels plusieurs furent brûlés. Pendant le conflit, saint Guénolé, comme un autre Moïse, priait avec grande ferveur. Après la victoire, il exhorta son père et les chefs de l’armée d’employer le butin pris sur les ennemis pour bâtir un monastère en l’honneur de la Sainte Croix, au même lieu où fut donnée la bataille, qui s’appelait « An Isel-vez » en la paroisse de Plounévez : ce qui fut fait et nommé « Loc-Christ », riche prieuré, à présent presque désert et sécularisé ».

Chapelle de Lochrist

La bataille décisive se produisit dans la vallée de la Flèche où Neven écrasa les pirates (Runeven en Plouider). « Les Pirates, se sentant découverts, se rallièrent dans les tranchées de leur camp, ne voulant donner combat, mais les Bretons les y assaillirent de telle furie, que, les ayant forcés, ils taillèrent la plupart en pièces, excepté quelques uns qui se sauvèrent à la nage vers leurs vaisseaux, desquels plusieurs furent brûlés".

Croix de Runeven

Les Normands prennent la fuite par Kerlouan (d’où ils étaient partis) et ne reviendront jamais. Le site est identifié à Kerlouan par un très vieux chêne qui domine le rivage.

Saint Sezny et la création de la paroisse

Saint Sezny et la création de la paroisse

Saint Sezny et la création de la paroisse.

Saint Sezny, moine irlandais, aurait débarqué dans l’estuaire du Quillimadec en 477 avec son compagnon saint Brévalaire et 70 disciples. Il s’installa d’abord au Lerret (Peniti san Sezni), du côté de Kerlouan, avant de passer sur l’autre rive à kerbrézant, puis sur le site de son église actuelle.

Il y aurait bâti un monastère en un lieu qu’il dénomme Guic-Sezny et vécu en grande sainteté avec ses disciples jusqu’à l’âge de 127 ans. Après sa mort, des Irlandais vinrent enlever son corps pour le ramener dans son évêché d’origine.

Les cloches se mirent à sonner toutes seules pour alerter les Guisséniens qui ne purent récupérer qu’un bras du saint. Celui-ci est conservé dans un reliquaire datant du XVIIIe siècle, l’authenticité de la relique étant certifiée par un parchemin.

La paroisse, fondée par saint Sezny, venu d’Irlande au Ve siècle, est nommée, dans les anciens textes, « Plou-sezny » ou « Guic-sezny », la première appellation désignant toute l’étendue de la paroisse et la deuxième concernant plus directement le bourg :

  • Plebs Sidni (1207),
  • Ploe Sizni (1330),
  • Plebs Sezni (1334),
  • Ploeseny (1467),
  • Plouzesny (15334),
  • Guic-Sezni (1636)…

Les seigneurs barons de Kériber se considéraient comme les fondateurs de la paroisse : un acte de 1670 parle d’une fondation faite par Salomon de Kériber « qui mourut en 1493, 1041 ans après la fondation de l’église paroissiale de Guissény ».

Au XVIIe siècle, on faisait donc remonter la fondation de l’église en 452 alors que « La vie de saint Sezny » d’Albert Le Grand situe l’arrivée du saint dans l’estuaire du Quillimadec en 477.

Les seigneurs barons de Penmarc’h protestaient contre la prétention des seigneurs de Kériber de se dire fondateurs de l’église et affirmaient de leur côté que cette qualité appartenait en fait à la maison de Penmarc’h.

Les cloches de l’église paroissiale sonnent orientées Nord-Sud et non pas Est-Ouest comme ailleurs : cette orientation leur permettait de se faire entendre de Kériber et de Penmarc’h, comme le veut une tradition locale !