La diversité des manoirs de Guissény

  • Le mot « manoir » désigne soit une seigneurie, soit l’édifice lui-même (du latin « manere » = demeurer, ou du celtique / bas-breton « maner » = maison de noblesse). La notion de manoir est également associée au caractère noble de la terre : juridiquement c’est une terre qui bénéficie de l’exemption fiscale. C’est également une unité économique, associant le domaine et la terre qui assurent la subsistance du seigneur. Le nombre de manoirs augmente dans les paroisses du Léon entre le XVe et le XVIe siècle. La création de nouveaux manoirs est soumise à la volonté du Duc de Bretagne qui cherche à s’appuyer sur un réseau de clientèle de vassaux fidèles et loyaux en multipliant les anoblissements. L’essor de l’administration ducale favorise l’ascension sociale de roturiers qui cherchent à utiliser leur fortune pour acquérir des terres nobles et entrer dans la noblesse. Le mot manoir finit par ne plus désigner que la demeure et beaucoup de petits domaines nobles sont réduits à la maison et son pourpris. Les nouveaux manoirs du XVIe siècle sont le plus souvent des « sieuries », des manoirs sans droit de justice et même des manoirs affermés à des paysans.
  • Le mouvement de construction ou de rénovation des manoirs avait déjà été amorcé au XVe siècle ; le calme qui suivit la Guerre d’Indépendance de la Bretagne ouvrit une période de prospérité, favorable à la construction de nouveaux édifices. Certains bâtiments gardent toutefois des éléments défensifs (meurtrières, murailles, portail fortifié,…pas seulement décoratifs). La majorité des manoirs n’existe plus en tant que tel. Si quelques-uns ont pu être rénovés, la plupart ont été transformés en bâtiment de ferme ou sont en ruine. Certains subsistent par quelques pierres dispersées dans les bâtiments de ferme du village. Plusieurs événements historiques sont aussi la cause de la disparition de ces manoirs : la Guerre de la Ligue par exemple, l’abandon des exploitations par des petits propriétaires ruinés,… Un grand nombre de manoirs a disparu entre le XIXe siècle et nos jours.
  • Le choix du lieu de construction du manoir s’appuie sur une situation géographique intéressante : sur le plateau, sur une hauteur ou à flanc de coteau, et à une certaine distance du centre paroissial. Il est également lié à l’existence d’un certain nombre de facteurs locaux : . la proximité de l’eau (ruisseau ou source). La présence d’un cours d’eau permet d’installer un moulin, privilège seigneurial (banalité) ; . la qualité des terres agricoles : le domaine seigneurial est d’abord une exploitation agricole dont les récoltes servent à nourrir le seigneur et à lui procurer des revenus pour pouvoir vivre noblement. . la proximité de voies de communication (« grants chemins ») et d’un bois (« haulte fustaye » : futaie signe de puissance nobiliaire) : matériau de construction et bois de chauffage mais aussi lieu de chasse.
  • Beaucoup de noms de manoirs commencent par le préfix « Ker », issu du vieux breton « caer », équivalent du latin « castrum » (un lieu retranché). Au XIIe siècle, le préfixe « ker » prend le sens de « lieu habité et cultivé » : il désigne une unité d’exploitation agricole. Le manoir, composé de la demeure seigneuriale et des terres agricoles, peut comprendre aussi un certain nombre de dépendances selon l’importance du domaine et le rang du propriétaire. De longues « rabines » mènent au logis seigneurial dont la façade est décorée d’une porte principale surmontée d’un arc brisé portant les armoiries de la famille, des fenêtres à meneaux, des lucarnes… Un escalier de pierre orne l’intérieur, placée dans une tour ronde ou carrée extérieure. Des « jardrins », « courtilz » et « vergiers » à proximité de la demeure, parfois délimités par un mur d’enceinte, fournissent les légumes et les fruits pour la consommation de la famille noble. Les manoirs les plus importants possédaient également un colombier, un four banal et un moulin banal, une chapelle privée.

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Les manoirs de Guissény sont cités dans les registres d’état-civil (baptêmes et décès) :

. Le manoir de BEAUREGARD, à Brandaouez (1675)

. Le manoir de BRAMOULLAY (1675) ou BRAMOULLE : en 1536, une métairie noble à BRECHMOLLEAU, propriété d’Olivier LE MOENNE ; un aveu de 1541, une maison et lieu noble à BRAMOULLE, propriété de Tanguy LE MOYNE.

. Le manoir de BRENDAOUEZ, ou « Hostel du presbytère » (1779)

. Le manoir de CASTEL-AL-LEZ (1713 - 1777) : une « maison noble » à Castel-al-Lais en 1536. Un aveu de 1680 décrit : « un manoir avec une court close dans laquelle il y a aplacement de chapelle, deux autres courtils appellés l’un Liortz an Castel ou il y a aplacement de vieux chasteau et l’autre Liortz an Grange ».

. Le manoir du HELLEZ - KERGONIOU (1669 - 1777), sous le fief de Penmarc’h : en 1531, Jeanne de Keraldanet, dame du HELLEZ, épouse Guillaume de GOUZILLON, sieur de Kergoniou (en Lesneven). Une chapelle proche du manoir : Saint Jean du Hellez.

. Le manoir de KERBIQUET (1674)

. Le manoir de KERESPERN (1671 - 1782) : il est cité dans des aveux de 1520, 1541, 1562. Aveu de 1541 : « aultre parch sittué entre ledict chemyn passant par devant ladicte porte dudict masnoir, le ruisseau dévalant dudict masnoir et autre chemyn mesnant de Guicsény à Lesneven ». Au XVIe siècle, le manoir appartient à la famille LE MOYNE qui le vend ensuite aux seigneurs de KERVEN.

. Le manoir de KERGOFF (1821 - 1822) : propriété de la famille HENRY au XVIIIe siècle.

. Le manoir de KERHORNAOUEN (1780 - 1821)

. Le manoir de KERIBER (1678 - 1824) : un aveu de 1488 pour l’héritage de Salomon de KERIBER, puis le manoir passe à la famille RANNOU (de Ploudalmézeau) et ensuite à la famille de SANSAY. Un aveu de 1520 : « Le manoir de Keriber o ses jardrins, vergiers, porte, boys, guareine, columbier, issues, franchises et largisses, ainsi qu’il est cerné de murs, mazières et fosses, situé entre les chemyns qui viennent de Guicsezny à Lesneven d’un côté, et ung aultre chemin qui conduict du villaige de Kerderch audict lieu de Lesneven d’aultre. Item le moulin dudict manoir de Keriber o ses buron, estang, bie, reffoul, issues, franchises et largisses, avecques le fenyer dudict manoir estant au dessoubz dudict manoir, moulin comme sont situez entre le chemin estant entre les clostures dudict manoir et ledit fenyer d’une part, et terres appartenances du manoir du Rest, d’aultre ».

. Le manoir de KERIJAN (1676 - 1782) : Kerrigean ou Kerrigent, un hostel - manoir, propriété de Jean PILGUEN au XVe siècle. En 1536, une maison noble à Kerdyjan, propriété d’Olivier ABALLERAN.

. Le manoir de KERISQUIN (1782 - 1783) - aujourd’hui, en Saint-Frégant.

. Le manoir de KERLEAC’H (1779 - 1849) - un aveu de 1520

. Le manoir de KERSULEC (1779 - 1784) : en 1536, une maison noble propriété de Goulfen KERGUEN ; un aveu de 1541. En 1680 : « …sa chapelle batye de pierre de taille a l’entrée de la rabine proche de la grande porte de la dicte pré… court, coulombier a présent ruiné sittué au milieu du grand clos qui sera cy apprès déclaré… ». En 1683 (Régaires de Quemenet-Ily), un manoir noble QUERSULEC, propriété de Messire François de QUERVEN, sieur de QUERSULEC.

. Le manoir de KERVEZENNEC ( 1823 - 1829) : au XVe siècle, un manoir propriété d’Alain de TREFFILI et en 1536 une maison noble propriété du sieur de KERUYLO.

. Le manoir de KERVOLAN (1743 - 1781)

. Le manoir de LA VIGNE (1683 - 1739) : au XVe siècle, le QUINIEC ; en 1536, une maison noble propriété de Salomon du QUINQUIS ; un aveu de 1541.

. Le manoir de LANVENGAT (1781) : en 1421, un hostel propriété d’Hervé QUERE ; en 1475, un hostel propriété de Jean GUIOMARCH ; puis une maison noble (en 1536), un manoir (1541) propriété de Guillaume de POULPRY. En 1680 : « Le lieu, manoir et maison noble de Lavengat… ayant ses maisons, cuisine, salle, chambres, greniers, escuries, creiches, maisons à four, grange, burons, chapelle, le tout couvert d’ardoise et de genetz, droitct de colombier, mazières, murailles, perrières, court close et desclose, puis, bois de décoration ». . Le manoir de LESSINQUET (1788)

On peut rajouter à cette première liste un certain nombre d’autres manoirs qui sont cités dans d’autres documents anciens :

. Le manoir de GOULETKER : un aveu de 1524 parle d’un manoir - hostel. Un texte de 1680 : « … Item au mesme terrouer de Goueletquear un aplacement et vieilles vestiges et masures d’une chapelle a presant ruinée et les murailles à fleur de terre jasdis désidée sous l’invocation de Sainct Bellec érigée en son nom… a costé du grand chemin conduisant dudit lieu noble de Goueletquear à la rive de la mer et il se void encore a présent qu’il y a eu un chœur séparé de la grande neffe ayant ses estandues et issues en dehors avec la fontaine vulgarisée pareillement la croix et fontaine de Sainct Bellec ». Au XVIe siècle, les seigneurs sont de la famille du POULMIC.

. Le manoir de KERAMPS : un manoir appartenant au sieur de KERMAON au XVe siècle. Un aveu de 1541 : le manoir avec « courtill, aere, yssues et franchisses ».

. Le manoir de KERRIOUGUEL au XVIe siècle, dépendance du manoir de Kériber. Aveu de 1520 : « Le manoir dudict seigneur de Keriber nommé Keriaquell o ses portes, jardrins, courtilz, aire, burons, pres, clostures, issues, franchises et largisses, ainsi qu’ils sont situez en la paroisse de Ploesezny, cerné de fosses et de mazières entre le grand chemyn qui vient dudict lieu de Guicsezny à Lesneven d’un costé, et unqu’aultre chemyn qui conduict dudict villaige de Kerderch audict lieu de Lesneven d’aultre, et fesant d’un bout sur l’aultre grant chemyn illecques, et l’autre bout sur le ruysseau qui descend de Tuon-an-Frout au manoir de Kerespern d’aultre ».

. Le manoir de KERVELLERE : au XVe siècle, à KERGUELLERE, un « hostel qui n’est manoir, ne applacement de manoir », propriété de Jean KERGUEN ; en 1683, à QUERVILLERE, un manoir noble propriété de Messire François de QUERVEN, sieur de QUERSULEC.

. Le manoir de KERVEZEL ou KERGUEZEL, fief de l’Evêque : un manoir au XVe siècle propriété de Yvon FERANT. En 1536, une maison noble dont le propriétaire est « un gentilhomme duquel ne savent le nom ».

. Le manoir de LEVEDERN : aveu de 1476, manoir propriété de Tanguy PILGUERN et aveu de 1557, manoir propriété de Guillaume PILGUERN et M. KERGRALL. Dans l’aveu de 1476 : « Savoir est le manoir de Levedern avec ses porte, jardrins, vergiers, boys, moulin, issures, relaix, largisses et franchises sittué en la parroisse de Ploesizny ».

. Le manoir de MESCAM ou MESCAMP : en 1536, un manoir propriété d’Hervé MESCAM. Aveu de 1541.

. Le manoir de TERROHANT : au XVe siècle, à TREROHAN, un hostel propriété de Alain de KEROUARTZ et un hostel propriété de Jean KERGUEN ; en 1536 et aveu de 1541, à MEZ-TREROHANT, une maison noble propriété de Goulfen KERGUEN.

. Le manoir de TREOURON ou TREGOURON : au XVe siècle, un manoir propriété du sieur de COETIVY. Aveu de 1541.

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Sources :

  • Archives de Guissény.
  • Isabelle PARC, « Les manoirs du pays des Abers aux XVè et XVIè siècles (communes de Guissény, Landéda, Lannilis, Plouguerneau, Saint-Frégant », mémoire de Maîtrise, Brest, 1996).
  • Yvon GAC, « Guissény, histoire d’une commune au cœur du pays pagan », Spered Bro Gwiseni, imprimerie CLOITRE, Saint-Thonan, 2000.